Ces deux officiers ont été accusés d'avoir, le 18 novembre 1969, soumis à l'approbation de cette commission un dossier qui comprenait des documents incomplets et imprécis sur la vente des cinq canonnières à une société spécialement créée à Panama par des Israéliens pour faciliter la transaction. L'ingénieur général Bonte a fait appel, le 21 février 1970, en Conseil d'État. Le ministre de la Défense a nommé le général d'armée Jacques Beauvallet au poste de secrétaire général de la Défense nationale, et l'ingénieur en chef Hugues de l'Estoile, précédemment conseiller technique au cabinet, à la direction des Affaires internationales de la DMA.

Les sanctions qui ont frappé les généraux Cazelles et Bonte ont impressionné les militaires, en particulier ceux qui n'ont jamais complètement accepté la politique de la France au Proche-Orient et qui, le souvenir de la guerre d'Algérie aidant, ont paru être plus anti-Arabes que pro-lsraéliens. En même temps, ces mesures ont été critiquées ouvertement par de nombreux militaires que l'annonce des restrictions budgétaires en 1970 avait profondément irrités.

Avec des crédits de 27 118 millions de francs, Michel Debré s'est employé à résoudre la quadrature du cercle : organiser une campagne de tirs thermonucléaires dans le Pacifique sans trop prélever sur les crédits qui sont affectés au fonctionnement des armées et à l'équipement des forces classiques. En 1969, Pierre Messmer avait dû renoncer aux essais nucléaires, réalisant ainsi une économie de l'ordre de 300 millions.

Politique nucléaire

Pour la troisième année consécutive, les dépenses de fonctionnement l'ont emporté en 1970 sur les crédits d'équipement, avec 52 % de l'ensemble du budget. La priorité est une nouvelle fois reconnue — comme l'avait d'ailleurs recommandé le président de la République — aux investissements dans le domaine nucléaire puisque la France a décidé de procéder, durant l'été, à huit essais de charges atomiques et thermonucléaires dans les atolls de Mururoa et Fangataufa (Polynésie). La première expérience a eu lieu le 16 mai 1970 et la série des huit essais est, en principe, destinée à mettre au point le détonateur de la bombe H française et plusieurs versions de l'arme thermonucléaire.

La mise en service de cet armement n'est pas envisagé avant 1975 et, pour le transporter, la marine nationale a lancé, à Cherbourg, le 12 décembre 1969, le deuxième exemplaire de ses sous-marins stratégiques à propulsion nucléaire, le Terrible. Un mois auparavant, Michel Debré, visitant le port de Brest, avait déclaré : « La marine doit être la pointe d'un instrument de défense stratégique. La mer et la marine vont devenir des éléments essentiels. »

Le chef d'état-major de la marine, l'amiral André Patou, n'a jamais caché qu'à son sens la priorité à la force stratégique navale ne devait pas inciter le gouvernement à réduire l'importance de la flotte de surface. Au contraire, les sous-marins nucléaires et les forces classiques, loin de s'exclure, se complètent pour contribuer ensemble à la politique de dissuasion. L'efficacité d'une panoplie nucléaire est même garantie par l'existence d'une flotte classique de bâtiments et d'avions qui la protègent.

Michel Debré, qui doit arbitrer entre les exigences des états-majors, sait que les budgets militaires — en particulier la troisième loi-programme d'équipement à long terme qui s'appliquera entre 1971 et 1975 — seront calculés au plus juste. Aussi a-t-il décidé de limiter les ambitions financières de la marine pour les années prochaines. En désaccord avec son ministre, l'amiral Patou a démissionné, au début du mois de mars 1970. Il était remplacé, le 1er mai suivant, par le vice-amiral d'escadre André Storelli au poste de chef d'état-major de la marine nationale.