Peu ou pas de révélations techniques révolutionnaires donc, en automne 1969, à l'exception de l'assez extraordinaire Mercedes C 111, prototype expérimental équipé d'un moteur rotatif Wankel. Pour le reste, ce ne sont que bonnes et sages voitures classiques, destinées à séduire l'acheteur par une promesse de tranquillité plus que par des innovations. Le temps est passé où l'automobile était réservée à une élite de pionniers, prompts à plonger dans le moteur pour déceler la panne et amoureux de la belle mécanique. L'automobile a perdu la noblesse de ses origines en devenant le symbole sur quatre roues de la société de consommation.

« Que faites-vous en cas de panne ? », demandait-on un jour au président de la Régie Renault, Pierre Dreyfus : « Je fais appel à un garagiste », répondait-il simplement. L'automobiliste ne veut pas avoir a connaître les organes mécaniques de son véhicule, pas plus que ceux de son réfrigérateur ou de sa machine à laver. Il veut être transporté, lui, sa famille, ses bagages, peu importe comment. Et si, parfois, il aime à jouer du levier de vitesses et du champignon, il s'intéresse assez peu à ce qui se passe sous le capot.

Avec la démocratisation de l'automobile, les conditions du marché ont complètement changé. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'auto était encore un produit rationné. Le choix était réduit entre les rares modèles proposés. Les bureaux d'études pouvaient, alors, dans le secret de leurs laboratoires, concevoir des modèles que le public, lui, était bien obligé d'accepter. L'important était de produire, non de vendre.

Le client dicte sa loi

Aujourd'hui, le client-roi dicte ses volontés. Et les services commerciaux, demeurés longtemps des parents pauvres dans les grandes sociétés automobiles, prennent leur revanche. Ce sont eux qui connaissent les désirs du public et qui les communiquent aux bureaux d'études. Toutes les difficultés de Citroën et son retard à sortir un modèle intermédiaire s'expliquent par la méconnaissance trop longtemps prolongée de cette révolution dans les mœurs. Ce sont les commerciaux de Javel qui ont demandé aux bureaux d'études de renouveler la gamme des DS ; comme ce sont ceux de Billancourt qui ont poussé et la sortie d'une voiture plus classique, et ceux de Sochaux et de Turin qui incitent sans cesse à l'élargissement et au renouvellement des gammes.

Parce que la grande masse des automobilistes s'intéresse peu aux problèmes techniques et que, désormais, c'est le commercial qui commande, peut-on conclure à une diminution du rôle des pools de matière grise ?

L'opération « M 35 »

En grandes lettres blanches qui se détachent sur l'aile de couleur métallisée, l'inscription : « prototype M 35 » suivie du numéro de série orne les coupés expérimentaux lancés par Citroën au début de janvier 1970. Avec sa carrosserie sans lendemain, fabriquée à partir de l'Ami 8, ce prototype abrite un moteur à piston rotatif, étudié depuis près de cinq ans par Citroën et la firme allemande NSU. 500 coupés M 35 sont ainsi vendus (pour un prix de 13 000 F environ) à des clients choisis pour expérimenter le moteur dans des conditions d'utilisation normale. Si l'expérience se révèle positive, la fabrication industrielle du moteur et d'une voiture destinée à le recevoir sera entreprise dès 1972. En attendant, les clients bénéficieront d'une garantie de deux ans pour le moteur et d'un an pour les autres parties de la voiture, ainsi que des soins très attentifs des bureaux d'études de Citroën. Que ces derniers, connus pour leur goût du mystère et du secret, aient lancé cette opération de dialogue sans précédent avec les utilisateurs constitue déjà un événement. L'opération M 35 va peut-être plus loin : c'est la première fois dans l'histoire de l'automobile qu'une innovation technique sera testée d'une façon aussi large.

Le rôle de l'inventeur

Rien n'est moins sûr. Pour tenir compte des désirs du public, les bureaux d'études doivent faire des prodiges. Les performances de la Fiat 128, le confort et la place révélés par une aussi petite berline ont pu être obtenus grâce, notamment, aux qualités de son moteur et à son faible encombrement. La fabrication d'un véhicule aussi remarquable aurait été absolument impossible il y a dix ans, ce qui marque bien les progrès continus enregistrés sur le plan technique.