Incidents, bagarres, occupations de locaux n'ont, en général, concerné qu'une minorité d'étudiants. La majorité silencieuse est restée le plus souvent absente, paralysée ou indifférente. Les mouvements réformistes créés pour soutenir la loi d'orientation de l'enseignement supérieur ont vu leur audience décroître. Entre les extrémistes et la masse des étudiants, les militants communistes ont tenté de susciter un renouveau à l'UNEF ; ils souhaitent en refaire une organisation syndicale d'étudiants. Mais au congrès d'Orléans (avril 1970), la direction leur échappe. Le PSU garde le contrôle de l'UNEF.

Les grèves déclenchées dans d'autres facultés (notamment au centre Dauphine, à Paris, ou à la faculté de droit et des sciences économiques de Lyon [janvier]) et dans quelques centres juridiques de la région parisienne n'ont pas été accompagnées de violences. Ces mouvements de protestation, qui réunissaient des étudiants de bords opposés, ont souvent duré fort longtemps (cinq semaines à Dauphine, un mois à Lyon). Les étudiants n'ont obtenu satisfaction sur aucune de leurs revendications (elles portaient généralement sur l'organisation du contrôle des connaissances). Violentes ou non, ces manifestations se sont, en général, soldées par des échecs face à la politique de fermeté des autorités.

Deux ans de cogestion : un apprentissage heurté

Nouveauté la plus spectaculaire et la plus contestée introduite dans l'enseignement supérieur français après mai 1968 : la démocratie. Pour remplacer les anciennes structures de décision, au sein desquelles ne siégeaient que les professeurs de rang magistral, la loi d'orientation de l'enseignement supérieur (Journal de l'année 1968-69) créait, dans chacune des anciennes facultés (en attendant de le faire dans chacune des universités nouvelles), de véritables parlements, élus au suffrage universel des utilisateurs et des personnels des établissements.

Des conseils élus

Ainsi naquirent les fameux conseils de gestion. La participation des étudiants à la direction de leurs facultés, par l'intermédiaire de délégués élus, eut des adversaires de deux ordres. Bien loin de les décourager, l'expérience de l'année 1969-70 semble bien plutôt avoir consolidé leur opposition.

Les premiers, conservateurs et, pour la plupart, enseignants nostalgiques du passé, affirment que le système mis en place aboutit à la paralysie et à l'impuissance de l'institution universitaire, les oppositions politiques ou syndicales au sein des conseils ne favorisant pas, selon eux, une bonne gestion des établissements. Les autres, gauchistes et contestataires des réformes d'Edgar Faure, refusent de participer à la gestion de leurs facultés sous peine d'être intégrés au système qu'ils veulent combattre. Les consignes de boycottage des élections universitaires données en 1968-69 par l'Union nationale des étudiants de France (UNEF) et la plupart des groupes gauchistes ont été maintenues en 1969-70. Les élections qui ont eu lieu au cours de l'année universitaire ont démontré — certains le prévoyaient depuis le début de la réforme — que la grande masse des étudiants se désintéressait presque totalement des institutions mises en place après 1968. Comme elle le faisait d'ailleurs des anciennes.

Une certaine déception

Désintérêt plus marqué que l'année précédente, qui se traduit par des participations électorales très faibles, voire ridicules (dans telle faculté des sciences de province, 50 étudiants sur 2 500 ont élu une trentaine de leurs camarades) et s'explique en partie par les difficultés de fonctionnement de la cogestion. Beaucoup d'enseignants qui se déclaraient prêts, au début de l'expérience, à jouer le jeu, et le firent effectivement avec loyauté, ne cachaient pas leur déception et leur lassitude après quelques mois de pratique des conseils. Beaucoup d'étudiants (et non pas uniquement ceux, très nombreux, qui démissionnèrent des conseils en cours d'année) laissaient voir une déception semblable. Pour certains, le rôle des conseils, important en théorie, avait été sensiblement amoindri dans les faits. Ils en rendent responsables certains enseignants tournés vers l'ancien système, qui n'hésitent pas à prendre d'importantes décisions sans les consulter, et le gouvernement, détenteur des cordons de la bourse et peu enclin à satisfaire tous les besoins, en hommes et en matériels, exprimés par les conseils. Cette impression de gérer la pénurie ou de tourner en rond semble avoir dominé chez les membres des conseils après deux ans de cogestion.

Les cinquante-six nouvelles universités

Vivement contestées depuis des années, les traditionnelles facultés ont reçu, pendant les événements de mai et juin 1968, un ébranlement fatal. La loi d'orientation de l'enseignement supérieur a établi le constat de décès de ces structures figées, monolithiques et désuètes, héritées de Napoléon (Journal de l'année 1968-69). Il aura pourtant fallu que plus de seize mois s'écoulent entre le moment où la loi a été votée et celui où, sur ce point, elle a connu un début d'application.