L'allure clinique et l'évolution de certaines leucémies aiguës se sont beaucoup transformées. Chez l'enfant surtout : la durée de la première rémission complète est de trois ans environ (contre un à deux mois autrefois) dans 95 à 100 % des cas. Après neuf ou dix ans, 1 à 2 % des malades sont vraisemblablement guéris. On doit certainement ces progrès à l'administration simultanée de plusieurs composés chimiques, car les cellules malignes paraissent capables — tout comme les bactéries pathogènes — d'échapper par mutations à l'action des médicaments dirigés contre elles. On contrôle mieux les accidents thérapeutiques. Enfin, l'expérience personnelle du clinicien joue un grand rôle, car toutes ces substances chimiques sont plus ou moins actives et toxiques suivant les sujets. Il est à noter également que le lymphosarcome de Burkitt réagit exceptionnellement bien à la chimiothérapie.

L'entraide chez les virus

Là encore, le plus souvent, le programme du virus n'est pas lu jusqu'au bout et le virus reste dans la cellule sous une forme masquée. On réussit parfois à mettre sa présence en évidence au moyen de l'hybridation cellulaire. Certaines techniques permettent de faire fusionner des cellules. On prend donc une cellule non permissive — c'est-à-dire une cellule dans laquelle le virus ne peut se multiplier, mais que l'on sait infectée — et une cellule permissive — dans laquelle le virus peut se multiplier, mais qui n'est pas infectée. On les réunit : si le virus se multiplie, c'est qu'il était présent dans la cellule non permissive, puisqu'on l'a fait réapparaître. On a découvert ainsi que ces virus à ARN sont très répandus et communs à beaucoup d'espèces.

Les choses se compliquent du fait que les virus de ce groupe peuvent s'aider mutuellement en se prêtant une enveloppe. On sait que pour se déplacer et pénétrer dans une cellule le virus doit être muni d'une enveloppe de protéine. Certains virus peuvent être défectifs pour la synthèse de cette enveloppe. Si l'on infecte une cellule qui contient ce virus défectif, par un second virus, ce dernier peut fabriquer des enveloppes pour lui-même et pour le premier, lequel achève alors son cycle et sort de la cellule. Certains ont émis l'hypothèse que des virus non cancérigènes pouvaient ainsi servir de révélateurs à des virus porteurs de programmes cancérigènes, mais jusque-là muets dans la cellule.

Allant plus loin et se fondant sur le fait que ces virus semblent transmissibles de la mère à l'enfant, J. Huebner, directeur du laboratoire des maladies virales à l'Institut de la santé de Bethesda, soutient que ces virus à ARN seraient les agents fondamentaux de tous les cancers ; les autres facteurs (physiques, chimiques, hormonaux) ne joueraient alors qu'un rôle favorisant.

Pourquoi le cancer ?

Telles sont quelques-unes des relations possibles entre virus et cellules. Mais par quel mécanisme les virus responsables entraînent-ils la cancérisation de la cellule ? Il semble qu'ils aient le pouvoir, par divers moyens, de transformer la surface cellulaire, qui filtre et transmet les messages intercellulaires en une sorte de station de brouillage particulièrement efficace. La cellule pas ou mal informée perdrait sa différenciation par rapport aux autres cellules de l'organisme. Elle deviendrait anarchique, donc maligne. Certains clichés pris au microscope électronique montrent que le manteau de la cellule cancéreuse est considérablement plus épais que celui de la cellule normale.

Le virus a peut-être des gènes qui — d'une façon que l'on ignore — agissent sur cette surface cellulaire : on connaît bien des gènes du noyau qui commandent la fabrication des antigènes cellulaires. Antigènes cellulaires qui empêchent les greffes de prendre...

De grandes espérances

Si donc cette théorie se trouve confirmée, d'immenses perspectives s'ouvrent. On pourrait chercher des médicaments qui « guériraient » la membrane et permettraient à la cellule peu transformée de redevenir saine. On comprendrait le mécanisme de rejet des greffes et on parviendrait sans doute à le maîtriser. D'une façon générale, résoudre l'énigme du cancer, c'est résoudre celle de la différenciation cellulaire, partant de l'embryogenèse. Pareille découverte serait aussi lourde de conséquences que celle de la fission de l'atome...