Selon une méthode récemment mise au point, il suffirait, après avoir séparé les cellules à tester les unes des autres, de les placer en suspension dans un gel de certains sucres. Dans de telles conditions, les cellules malignement transformées prolifèrent en tous sens, alors que les cellules non malignes, qui ont besoin d'un support de verre ou de plastique pour se multiplier, survivent sans se diviser. Mais ce genre d'expérience n'a pas été tenté.

D'une façon plus classique, on admet que, pour démontrer que des cellules ont subi une authentique transformation maligne, il faut parvenir à les greffer sur un animal dont on a artificiellement aboli les réactions de défense ou, mieux encore, sur un animal ne présentant pas d'incompatibilité tissulaire avec le greffon.

Il n'est pas question, pour des raisons évidentes, de tester le pouvoir cancérogène des cellules transformées in vitro en les inoculant à des nouveau-nés humains. D'ailleurs, il faudrait pouvoir opérer sur des nouveau-nés de race pure, c'est-à-dire ayant reçu strictement le même patrimoine génétique grâce à quelque trente croisements entre sujets consanguins, comme cela se pratique avec les animaux de laboratoire.

Il faudrait donc transmettre le virus qui a transformé les cellules humaines à des cellules animales en culture, lesquelles, une fois transformées, seraient inoculées à un animal de la même espèce se comportant comme un vrai jumeau, c'est-à-dire ne rejetant pas les greffes. En cas de cancérisation chez cet animal, on tiendrait alors une preuve. Le singe marmouset la fournira peut-être bientôt. Tel est l'état de la question.

Les virus masqués

Si, toutefois, on écarte provisoirement les incertitudes qui demeurent, la découverte des trois savants américains ajoute une pièce supplémentaire au dossier de la théorie virale du cancer, laquelle connaît actuellement un regain de vigueur.

Certains petits virus dits du groupe Papova, tel le SV 40 du singe, sont cancérogènes, mais généralement pour une espèce qui n'est pas celle dont ils sont les hôtes naturels. Ainsi, le virus SV 40 peut provoquer des tumeurs chez le hamster.

Au laboratoire, ces virus ont une double action selon le système cellulaire auquel on s'adresse. Ils peuvent soit se multiplier et détruire les cellules qu'ils infectent, soit transformer les cellules sans s'y multiplier. Il y a tout lieu de croire que, lorsque la cellule n'est pas détruite, l'acide nucléique de ces virus (de l'acide désoxyribonucléique ou ADN) persiste, porté par certains chromosomes du noyau. On constate que si la cellule perd précisément ces chromosomes, sa lignée redevient normale. En somme, le virus doit rester présent pour que la cancérisation se poursuive. On peut penser que, dans le cas où ces virus transforment la cellule sans se multiplier, l'information portée par leur matériel génétique n'est pas lue jusqu'au bout. Certains agents (rayons X et ultraviolets, substances chimiques) permettent d'activer ces virus, c'est-à-dire de provoquer leur multiplication. En les récupérant, on a la preuve qu'ils étaient toujours présents dans la cellule, mais sous une forme masquée.

Il est intéressant de noter que les adénovirus, qui sont à l'origine d'infections du système respiratoire chez l'homme, se comportent de la même manière. Ils se multiplient activement dans les cellules humaines en culture et les détruisent, mais ils ne provoquent qu'une infection abortive chez le hamster, avec parfois comme conséquence une cancérisation. Mais dans ce domaine les études sont moins avancées.

Plus intéressants encore sont les virus du groupe de l'herpès, que l'on trouve presque obligatoirement associés à certains cancers spontanés.

Le lympho-sarcome de Burkitt est un cancer qui frappe pour ainsi dire exclusivement le jeune Africain dans une région géographique bien déterminée, où la température n'est jamais inférieure à 15 °C et où il tombe plus de 55 cm de pluies par an. On est donc conduit à incriminer un insecte vecteur qui inoculerait un certain virus de ce type dit EB (de Epstein et Barr).