Samedi 19. À 4  h 10 mn, le vaisseau Apollo atteint sa vitesse la plus faible (3 280 km/h) au moment où il passe par le point d'équigravité, à quelque 70 000 km de la Lune. À partir de ce point précis, l'attraction lunaire l'emporte sur celle de la Terre et va accélérer constamment l'engin, tout en infléchissant sa trajectoire.

En cas de danger

Au moment où Apollo 11 commence à contourner la Lune, trois éventualités étaient prévues :
– On doit renoncer à poursuivre l'opération (par défaillance de quelque organe essentiel du vaisseau spatial, par indisposition grave d'un membre de l'équipage ou par suite d'une violente éruption solaire dangereuse pour les hommes, ou encore parce qu'une météorite a perforé la cabine ou un réservoir). Dans ce cas, aucune manœuvre ne devait être faite, l'engin revenant de lui-même sur la Terre.
– Tout va bien à bord et la mission doit être poursuivie. La première chose à faire sera de satelliser l'Apollo autour de la Lune lorsque, la contournant, il survolera l'hémisphère invisible de la Terre. On sait qu'à toute altitude correspond une vitesse déterminée pour qu'un corps reste satellisé sur l'orbite choisie. En l'occurrence, il fallait une vitesse de 5 800 km/h, alors que le vaisseau se déplaçait à 9 200 km/h : fonctionnant en rétrofusée, le moteur du SM doit donc le freiner énergiquement.
– Enfin, il se pouvait que, ce moteur refusant de s'allumer, la satellisation devînt impossible. On se serait retrouvé dans les conditions de la première hypothèse.

Depuis 17 heures la satellisation — LOI, Lunar Orbit Injection, dans le code de la NASA — est minutieusement préparée. La trajectoire de l'engin a été déterminée à quelques mètres près et tous les organes essentiels ont été vérifiés. À Houston, on sait, seconde par seconde, que tout va bien à bord et on est à même de fournir aux cosmonautes les dernières valeurs numériques qu'ils doivent introduire dans le calculateur de bord. Enfin, la salle de contrôle prend la décision : « Vous avez le feu vert pour la LOI. » Dix minutes plus tard, Apollo 11 disparaît derrière la Lune.

Radio muette

La tension monte brusquement au centre de contrôle de Houston : la liaison radio, ce lien vital qui relie le vaisseau spatial à sa base terrestre, est coupée par l'interposition du globe lunaire. Pour les débuts de la véritable astronautique, cette coupure inévitable n'est pas acceptée de gaieté de cœur par les responsables et sans doute par les cosmonautes.

L'altitude du vaisseau spatial étant correcte (tuyère du moteur du SM exactement orientée vers l'avant de la trajectoire) et tout fonctionnant normalement, le calculateur de bord a indiqué, par un voyant lumineux, que les conditions sont remplies pour une opération de freinage automatique. Armstrong n'a qu'à pousser un bouton, de savants automatismes se chargeant d'exécuter les manœuvres mieux qu'il n'aurait pu le faire lui-même. À 18 h 22 mn, une brusque décélération comble de joie les trois hommes : le moteur freine ! Mais à Houston le suspense va se prolonger. C'est seulement à 18 h 47 mn que parvient la voix rassurante d'Armstrong : « C'était parfait. Voici les indications du calculateur : Delta... Echo... 6 233, 1 940... » Tout au long de ce vol, des milliers de chiffres seront échangés entre les cosmonautes et les responsables du vol et entre le calculateur du bord et les ordinateurs de Houston.

À 22 h 37 mn, alors qu'Apollo 11 a bouclé deux tours de la Lune, une courte impulsion de son moteur le freine à nouveau pour le placer sur une nouvelle orbite quasi circulaire, à une centaine de kilomètres du sol. C'est à partir de cette orbite qu'aura lieu la descente du LM sur la Lune. Une journée bien remplie vient de s'achever ; les cosmonautes s'apprêtent à prendre quelques heures de sommeil. Il est 22 h 44 mn en France, mais la notion de jour et de nuit astronomiques n'a aucun sens dans l'espace : pour l'équipage d'Apollo, le Soleil se lève maintenant toutes les deux heures ; demain, sur la Lune, l'astre roi bougera à peine, car, sur notre satellite naturel, la journée dure l'équivalent de deux de nos semaines, et la nuit tout autant...

Le débarquement

Dimanche 20. Pour la première fois, des hommes vont débarquer sur un autre monde. Certes, la Lune a déjà été explorée par les astronautes et les sondes automatiques. Dans ce débarquement qui se prépare, rien ne rappelle l'aventureuse incertitude des marins de la Renaissance partis à la découverte d'eldorados inconnus. C'est un immense rocher absolument stérile qu'Armstrong et Aldrin vont fouler en un endroit choisi d'avance sur des photographies des lieux. Pourquoi donc les a-t-on lancés dans une aventure que beaucoup de gens estimaient risquée ? En premier lieu, il faut constater que depuis qu'il y a des hommes sur la Terre, l'instinct les a toujours poussés à aller sans cesse de l'avant, toujours plus loin. Notre planète ayant été explorée en long et en large, c'est maintenant le tour des astres les plus proches. Mais, en outre, la Lune est devenue l'enjeu d'un pari politique. Dans son message à la nation américaine du 25 mai 1961, donnant le coup d'envoi au programme Apollo, le président Kennedy s'était exprimé en ces termes : « L'heure est arrivée (...) pour ce pays d'assumer le rôle principal dans les hauts faits de l'espace qui, à bien des égards, peuvent détenir la clef de notre futur sur la Terre [...]. Notre objectif (déposer un homme sur la Lune avant la fin de la décennie) est de promouvoir, dans un domaine nouveau de la science, du commerce et de la coopération, la position des États-Unis et du monde libre. »