Comme naguère la célèbre mouche du vinaigre pour la génétique classique, le banal colibacille et ses ennemis intimes, les virus bactériophages, apportent à ceux qui les ont choisis comme matériel d'expérience une belle moisson de découvertes. Il arrive qu'à leur tour celles-ci posent des problèmes nouveaux : ainsi, les mécanismes par lesquels les acides ribonucléiques (ARN) transmettent l'information génétique aux organites de la cellule apparaissent plus compliqués qu'ils ne semblaient à travers les schémas élaborés il y a trois ou quatre ans. Mais, pour la première fois, on a isolé un opéron, une unité d'information génétique. On a reconstitué par synthèse une enzyme, et tout récemment, en juin, on annonçait que l'équipe du professeur Khorana — qui obtint le prix Nobel en 1968 pour avoir synthétisé des acides nucléiques — avait réussi à fabriquer un gène entier.

Dans un autre domaine de la recherche biologique, l'endocrinologie, on a isolé pour la première fois une hormone sécrétée par l'hypothalamus, et l'on s'attend à ce que d'autres soient bientôt isolées à leur tour. Ainsi s'affirme l'unité du système neuro-endocrinien, qui gouverne toute l'activité des organismes vivants supérieurs.

Aussi bien, tout en continuant à expérimenter les mécanismes fondamentaux de la cellule isolée, tels qu'ils leur sont offerts par les bactéries, les spécialistes de la biologie moléculaire s'apprêtent-ils à orienter leurs recherches vers des tissus et des organismes entiers. Il importe d'étudier les actions intercellulaires, domaine encore très mal connu et qui, outre son immense intérêt général, pourrait concerner directement le mécanisme du cancer.

Les biologistes ont déjà choisi l'animal qui succédera à la mouche du vinaigre et au colibacille comme objet d'expérience : ce sera la souris. Un institut spécial pourrait être créé en France pour fournir des souches génétiques pures.

Une image différente

Dans les profondeurs de l'espace, les astrophysiciens continuent de découvrir des objets déconcertants. Relayant l'optique classique, l'observation de l'infrarouge, de l'ultraviolet, des rayons X et gamma révèle des états de la matière et des phénomènes physiques dont la nature nous est encore inconnue. Les mesures effectuées par les instruments placés à bord de plusieurs satellites américains montrent les énormes possibilités de l'astronomie extraterrestre, qui se développera au cours de ces prochaines années.

L'astrophysique contemporaine nous donne de l'univers une image bien différente de celle de l'astronomie traditionnelle : celle d'un monde en perpétuelle transformation, où les étoiles naissent, meurent, explosent parfois en de puissants cataclysmes. Dans notre représentation de l'univers, c'est une révolution aussi importante que le furent jadis la révolution galiléenne et celle de la relativité.

À côté de ces domaines en rapide évolution, d'autres branches de la recherche paraissent, en comparaison, faire preuve d'une certaine lenteur. L'avance en biologie ne se traduit pas encore par une victoire décisive des thérapeutiques anticancéreuses. Cependant celles-ci progressent pas à pas ; peut-être le caractère un peu spectaculaire de certaines campagnes de soutien a-t-il masqué ce progrès aux yeux de l'opinion, et suscité en même temps des espérances prématurées.

La physique fondamentale se débat toujours dans la jungle des particules élémentaires ; à celles qui sont déjà reconnues s'ajoute le fantôme des quarks. Pour en faire une réalité ou pour le rejeter dans les limbes des hypothèses abandonnées, on réclame des accélérateurs de plus en plus puissants. Ainsi retrouvons-nous l'implication des problèmes de la recherche avec les problèmes économiques et politiques, implication déjà signalée dans le Journal de l'année 1968-69.

Crise de la recherche

En France, on parle d'une crise de la recherche, et la diversité des opinions exprimées entretient une polémique permanente à ce sujet. Les restrictions budgétaires, en 1969, ont durement touché de nombreux laboratoires. On assure qu'elles ne sont que provisoires, et qu'au contraire, avec la mise en marche du VIe plan, les dotations financières de la recherche seront bien plus considérables que par le passé, atteignant ou même dépassant, d'après les prévisions de la DGRST (Délégation générale à la recherche scientifique et technique), les 3 % du PIB (produit intérieur brut), situation comparable à celle des États-Unis. Si l'on tient compte du taux d'accroissement annuel prévu pour le PIB lui-même, celui de la recherche se situerait aux environs de 17 %, ce qui implique qu'entre 1970 et 1975 les ressources auront plus que doublé. Il s'agit là des ressources provenant de l'État, auxquelles doivent s'ajouter les dépenses consenties par les firmes privées.

La cloison étanche

Où recrutera-t-on les nouveaux chercheurs ? Évidemment à la sortie des universités et des grandes écoles. Feront-ils tous carrière dans la recherche ? La thèse prévaut aujourd'hui que, conformément à ce qui se passe à l'étranger, le scientifique ne devrait pas s'engager dans la recherche pour toute sa vie. S'il a débuté dans une équipe de recherche fondamentale où a pris naissance une invention ou une découverte susceptible d'application, il est normal que tout ou partie de cette équipe migre vers la recherche appliquée, puis vers la phase du développement. Ainsi sera ménagé un acheminement progressif vers une innovation industrielle que l'on espère rentable.