Considéré par ses détracteurs comme un auteur fini, Jean Anouilh a fait une rentrée spectaculaire, avec deux œuvres nouvelles. Dans Cher Antoine, il a joué aux Mémoires d'outre-tombe, usant d'une diabolique adresse et de cette espèce de pudeur blessée dont il s'est fait un secret ; on a presque unanimement couvert de fleurs cette résurrection éclatante de son talent. Mais les Poissons rouges, beaucoup plus aigre satire, venait rappeler, quelques semaines plus tard, qu'Anouilh demeure l'auteur de ces pièces grinçantes qui agressent autant qu'elles divertissent.

Les nostalgiques, enfin, auront sans doute revu le Bal des voleurs, auquel André Barsacq a fidèlement rendu sa fragile fraîcheur d'il y a trente ans, tout juste un peu passée... De quoi donner à penser à ceux qui enterrent trop vite le théâtre de papa. Du reste, celui de nos grands-parents conserve également ses irréductibles ; c'est pour eux que Jean-Pierre Cassel et Jacqueline Gauthier se sont occupés d'Amélie, que Jean Marais a repris le loup de Sacha Guitry dans l'Amour masqué, tandis que Michel Le Royer, dernier d'une longue liste, endossait à son tour l'uniforme blanc de l'Aiglon, pour le plaisir renouvelé des bonapartistes du Châtelet.

Un Avare tout neuf

La Comédie-Française, qui a aussi le privilège d'attirer des abonnés férus de tradition, s'efforce d'essuyer, de temps en temps, la poussière qui s'accumule chez Molière. C'est ainsi qu'on a pu voir, grâce à l'intelligente mise en scène de Jean-Paul Roussillon, un Avare tout neuf, qui ne ressemblait guère à la bouffonnerie qu'on présente d'ordinaire. Atrabilaire, un tantinet hystérique, et tirant vers la tragédie, l'Harpagon de Michel Aumont a quelque peu scandalisé. Mais il révélait, outre un comédien remarquable, les aspects insoupçonnés d'une œuvre qu'on croyait bien connaître. De même, si le traitement janséniste que Jean-Marie Serreau a fait subir au Pain dur de Claudel n'a pas été du goût de tout le monde, il montrait que le respect des grands textes n'est pas forcément synonyme de conformisme. Il est vrai que l'auteur n'étant plus parmi nous, on ne sait ce qu'il aurait pensé du spectacle, tandis qu'Henry de Montherlant, bien vivant, a sans doute veillé à ce que la reprise de Malatesta fût sage et ne trahît point ses volontés. Au reste, il ne faut peut-être pas pousser à l'excès l'interprétation des œuvres. Avec les Italiens à Paris, canevas de la Commedia dell'Arte déformé jusqu'à la caricature par des facéties énormes, comment douter qu'on avait passé la mesure ? Et à grands frais, comme pour se moquer des fameuses consignes de pauvreté.

Mais la salle Richelieu ne possède pas le monopole des classiques. Au Théâtre de la Ville, on a également joué Molière. Michel Piccoli, qui fut un mémorable Dom Juan à la télévision, y interprétait le rôle d'Alceste, sous la direction de Marcel Bluwal : un Misanthrope presque pathologique, traduisant sa « haine du genre humain » par la névrose d'un homme traqué. Au moins de quoi surprendre, sinon convaincre. Encore faut-il que le parti choisi soit défendable. Celui de Vercors, adaptateur trop libre de Sophocle, ne l'était guère, et son Œdipe révolté contre le fatum a laissé perplexes des spectateurs déconcertés.

Un Strindberg sévère

Mise en scène par Claude Régy, la Danse de mort, un peu perdue dans l'immense vaisseau du palais de Chaillot, aura également étonné par sa raideur, sa sévérité, en contradiction avec la violence naturelle de Strindberg — qu'on peut désormais ranger parmi les classiques, d'autant qu'il apparaît de plus en plus comme le véritable ancêtre du théâtre contemporain, de O'Neill à Beckett, en passant par Pirandello, Albee et Adamov — malheureusement disparu cette année. Il est probable que Régy avait voulu brider ainsi les deux monstres sacrés qui s'affrontaient dans ce duel, Maria Casarès et Alain Cuny. Ce fut un beau match nul, qu'on aurait préféré moins rigoureux et plus délirant.

Spirituelle, ironique, mystérieuse parfois, et pleine de trouvailles, la nouvelle présentation de l'Illusion comique, également au TNP, a permis d'applaudir Georges Wilson, savoureux Matamore, et bon serviteur de ce Corneille baroque dont on n'a pas fini d'exploiter les ressources inexplorées.