L'art de Matisse est un art de participation. À deux niveaux : le peintre ne se contente pas de refléter le sujet, mais il le vit de l'intérieur ; le spectateur doit intervenir pour apporter à l'œuvre son élément humain. « Ménager une brèche » par où le spectateur accède à l'œuvre, c'est ce que symbolise la farandole ouverte qui apparaît dans la Joie de vivre, en 1906, et qui s'épanouit dans la Danse de 1909. Chaque fois que Matisse éprouvera le besoin d'un développement nouveau, il reprendra ce thème, « prenant conseil de sa jeunesse ». Ainsi, ses « jeux » de formes ne sont-ils jamais gratuits, de la Desserte rouge (1908) et de la Nature morte camaïeu bleu (1909), au vitrail des Coquelicots (1953), en passant par la Fenêtre bleue (1912), les Coloquintes (1916), le Nu au coussin bleu (1924), les Glaïeuls (1928), la Jeune Femme au collier de perles (1942). Épurant sans cesse sa facture (les feuilles de papier de la Danse de Barnes sont coloriées et épinglées au mur par des assistantes sur ses indications), Matisse concentre son attention sur les grandes pulsions humaines : « Il faut revenir aux principes essentiels qui ont formé le langage humain [...], les tableaux qui sont des raffinements, des dégradations subtiles, des fondus sans énergie, appellent des beaux bleus, des beaux rouges, des beaux jaunes, des matières qui remuent le fond sensuel des hommes. » C'est cela la grande leçon de Matisse, ces « tons locaux exclusivement sans ombre, sans modelé, qui doivent réagir les uns sur les autres pour suggérer la lumière, l'espace spirituel », et qui s'ordonnent non suivant la perspective, mais selon l'imagination. Litote toute orientale, ascèse religieuse, fastueuse jonglerie de l'esprit ? « Tout ce que j'ai fait, déclarait Matisse à la fin de sa vie, je l'ai fait par passion. »

Les galeries

Outre le nouveau visage de Tapiès, avec ses grands collages de sacs, de paille et de journaux entassés, la Galerie Maeght a révélé un Riopelle « solaire » qui revient à l'image à travers le thème obsessionnel du hibou et l'étincellement de blancs lumineux, ainsi que les poteries récentes d'Artigas, émaux bleus, verts, jaune acide, au galbe lisse et rustique.

Denise René nous a proposé deux créateurs passionnés de plasticité, qui veulent faire entrer l'art dans l'espace urbain et la vie quotidienne : Nicolas Schoffer, qui récapitule ses sortilèges électriques et cybernétiques depuis 1948, et Vasarely, qui, dans ses nouvelles permutations, entreprend de programmer l'inspiration et de dramatiser la géométrie. La Galerie de France a montré un Manessier fasciné par le grand nord canadien et un Gonzalez plus orfèvre que ferronnier.

La Galerie 3 + 2 nous a découvert un Gustav Klimt autrement profond que ne le fait sa réputation traditionnelle de décorateur viennois et mondain.

La galerie des Cahiers d'art et la galerie Jacob se sont partagé les gouaches d'Arpad Szenes. La galerie Argiles a réuni les hors-la-loi de l'art, ces visionnaires et illuminés que sont Gabritschevsky, Winker, Ozenda, Bojnev, Chichorro, Philippe Deroux.

Alexandre Iolas continue à enrichir la ménagerie des Lalannes en présentant un hippopotame, doublement lié à l'eau puisqu'il contient un lavabo et une baignoire. Saura, à la galerie Stadler, passe dans ses dernières peintures sur papier de l'expressionnisme abstrait à une figuration torturée et satirique.

Les sculptures ambiguës d'Amado, chez Jeanne Bucher, révèlent une imagination mythique et méditerranéenne, alors qu'à la galerie Ariel, Subira-Puig témoigne de ses dons merveilleux d'assembleur, et que Villand et Galanis démontrent que les emboîtements de Lobo répondent au thème de la maternité.

La moindre surprise n'aura certes pas été l'apparition, à la galerie de l'Œil, des premières peintures de Pierre Courtin, aussi patient et hiéroglyphique que dans l'art si profond de sa gravure.

Il faut enfin noter deux initiatives étrangères : l'hommage rendu à Vitullo à la Maison de l'Argentine et l'exposition modèle d'un peintre pur, méthodique, discret, Saenredam, le peintre des églises vides, à l'Institut néerlandais.

Les musées de province

Si Saint-Germain-en-Laye, qui accueillit dans son nouveau centre culturel le vingt-sixième Salon de mai, touche de bien près à la capitale, et si la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence, n'est souvent, dans ses recherches et ses hommages, comme celui qu'elle destina cette année à Pierre Reverdy et à l'âge d'or du cubisme, qu'un écho des préoccupations parisiennes, les musées, les galeries et les maisons de la culture font preuve, en province, d'une remarquable activité.