En octobre et novembre, autour de 23 tableaux, chefs-d'œuvre indiscutables, comme la Bethsabée du Louvre et le Claudius Civilis de Stockholm, ou compositions plus conventionnelles, comme le portrait du Constructeur de navires ou Aristote contemplant le buste d'Homère, qui doit sa célébrité plus à ce qu'il coûta au Metropolitan Muséum qu'à sa grandiloquence, le Rijksmuseum d'Amsterdam rassemblait 116 dessins et la totalité de l'œuvre gravé de Rembrandt, 300 estampes disposées par ensembles : paysages, portraits, mythologie, Bible, Évangile. Le Louvre a choisi de présenter d'abord les plus belles eaux-fortes des quatre principales collections de Paris (Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, collection Dutuit du musée du Petit Palais, collection du baron Edmond de Rothschild au Louvre, collection Frits Lugt de l'Institut néerlandais), puis un ensemble de dessins entourés des œuvres d'une trentaine de contemporains : Jan Van Goyen, Jacob Van Ruysdael, Pieter Molijn, Adriaen Van Ostade, Bloemart...

Cette primauté accordée à l'œuvre graphique révèle une double préoccupation : celle d'abord que font naître les études les plus récentes sur l'authenticité d'une grande partie de l'œuvre peint. En 1906, le catalogue Hofstede de Groot recensait près de 900 pièces ; en 1969, l'ouvrage de Horst Gerson, qui fut passionnément discuté lors de la réunion, à Amsterdam, du comité de Conservation international des musées, ne retient que 420 numéros : le Louvre perd ainsi le Bon Samaritain, l'Ermite lisant, la Vénus et l'Amour.

Mais surtout, pratiqués tout au long d'une vie, gravure et dessin permettent de mieux saisir, à travers les retouches et les repentirs, les thèmes constants d'une œuvre multiple.

On s'interroge toujours sur l'éthique de Rembrandt : cet or « condensé dans les retraites les plus profondes de l'esprit », cette lumière est-elle, comme le voulait Claudel, la marque d'une inquiétude morale, le signe visible et purifié de la pensée ? Rembrandt est-il « le plus sublime représentant de l'humanisme protestant » ou, comme l'affirme Gerson, n'a-t-il peint des scènes bibliques que « parce qu'il était peintre d'histoire » ?

Tout dans l'œuvre graphique trahit un être double. Ne vit-il pas dans une cité à deux visages : ouverte sur la mer violente et les richesses des Indes orientales, mais coulant des heures silencieuses dans le confort des demeures bourgeoises, au bord des canaux lents.

Rembrandt, lui aussi, suit deux chemins : un besoin sensuel lui fait savourer le monde, Saskia, les longues flûtes de vin ambré, la chair et le plumage des paons, le spectacle sanglant du Bœuf écorché ; c'est là le moteur profond de cette curiosité qui le pousse à pratiquer tous les genres — portraits, paysages, scènes historiques ou familières —, à se mesurer avec ses contemporains, à surpasser Franz Hals dans ses portraits de magistrats et de drapiers, comme Adriaen Van Ostade dans ses croquis de gueux et de paysans. Mais Rembrandt, c'est aussi la mélancolie de Saskia malade, la grâce de Titus à la fleur, la transfiguration de la Pièce au cent florins. Le génie de Rembrandt est de retenir dans une même touche, une même vibration les deux tentations permanentes de son art : l'appréhension familière et même triviale des choses, la tendance à faire de toute anecdote un moment de l'histoire exemplaire. Ainsi, par un mouvement inverse, voit-on dans l'Adam et Ève de la collection Dutuit une paire de rustauds campagnards et dans le couple discret de la Fiancée juive l'incarnation légendaire d'Isaac et de Rebecca.

Intimité familiale de Joseph racontant ses songes devant sa famille, tension dramatique du Paysage aux trois arbres, réalisme sans complaisance de la Femme devant le poêle, l'art de Rembrandt s'affine et se résume dans ses autoportraits, miroirs d'une œuvre et d'une vie : en 1639, dans le Rembrandt appuyé, l'artiste pose pour lui-même, drapé dans un riche manteau de velours, parodiant à la fois l'Arioste par Titien et le Castiglione de Raphaël. Neuf ans plus tard, l'homme élégant est devenu (Rembrandt dessinant) un artiste calme, massif, vêtu d'une grosse blouse, coiffé d'un chapeau qui évoque plus le paysan que le citadin aisé, et dont le regard intense annonce celui qu'il prête à Erasme dans la scène à laquelle il travaille : l'illustration du chapitre XIX de l'Évangile selon saint Matthieu. « Rembrandt est le maître du regard », écrivait Claudel. Mais de ce regard que l'œuvre fixe sur celui qui la contemple et qui le contraint à voir en lui-même.

Klee
(musée national d'Art moderne, Paris, 25 novembre 1969-16 février 1970)

Il y a quarante-cinq ans, René Crevel découvrait dans une galerie de la rue Vavin « des animaux d'âmes, oiseaux d'intelligence, poissons de cœur, plantes de songe. Minuscules créatures aux yeux illimités, algues libres de tout roc... ». C'était la première exposition parisienne de Paul Klee. Trente ans après sa mort, d'un catalogue qui compte plus de 9 000 numéros (761 peintures sur toile, 3 263 peintures sur papier, 4 966 dessins, 62 gravures, 52 sculptures), le musée national d'Art moderne retient 200 pièces, provenant pour l'essentiel de la collection Félix Klee, de la fondation Paul Klee, de Berne, et de quelques collections européennes. Choix restreint, mais qui illustre chaque moment capital d'une évolution qui va des panneaux du Paysage de l'Aare (1900), destinés à orner la salle à manger familiale, à la dernière gouache inachevée (Signes sur fond blanc, 1940), peinte sur un papier d'emballage.