Toutefois, la politique de stabilisation a introduit des modifications dans le type de la croissance économique. Alors qu'à l'été et au début de l'automne 1969, c'est principalement la consommation des particuliers qui alimente l'activité, à partir de l'hiver 1969-70 et surtout au printemps 1970, ce sont les ventes à l'étranger et les investissements des entreprises qui nourrissent l'expansion.

La politique d'austérité se fait particulièrement sentir dans le domaine des dépenses publiques. Le budget de 1970 est présenté dans un équilibre rigoureux. Les quelque 5 milliards de francs de crédits gelés en 1969 sont purement et simplement annulés. Dans le budget de 1970 lui-même, on gèle 2 milliards supplémentaires de crédits, qui ne seront réintroduits dans le circuit que partiellement, à partir de l'été. Ces restrictions atteignent particulièrement des secteurs d'activité comme le bâtiment et les travaux publics, qui vivent principalement des crédits de l'État. Les particuliers, de leur côté, ayant comblé, en 1969, un certain nombre de leurs désirs de consommation, ralentissent, au début de 1970, la demande de biens durables, comme les automobiles, les appareils électroménagers, les meubles et les vêtements. Cela oblige les entreprises à se tourner davantage vers les marchés extérieurs, ce qui est précisément l'objectif de la politique gouvernementale. En mai et juin, par exemple, la Régie Renault vend près des deux tiers de sa production à l'étranger, ce qui ne s'était jamais vu.

Sortie en douceur

Sans être aussi faible que l'année précédente, le chômage reste modéré pendant toute la première partie de 1970. À partir de la fin du printemps, le gouvernement doit, toutefois, envisager de sortir de la politique de stabilisation. Ce fut un des grands reproches faits au précédent plan de stabilisation de V. Giscard d'Estaing, en 1963, que d'avoir manqué sa sortie. Il n'est pas possible, en effet, de maintenir longtemps de trop rigoureuses restrictions de crédits, des prix pratiquement bloqués et un sévère contrôle des changes. Mais il ne faut pas non plus desserrer trop vite si l'on ne veut pas perdre rapidement les bénéfices de l'effort réalisé. Cette sortie en souplesse du plan de stabilisation est le problème numéro 1 de Valéry Giscard d'Estaing au début de l'été 1970. Il est d'autant plus délicat à résoudre que les prix continuent de croître assez rapidement, de même que les salaires. Au printemps 1970, le coût de la vie a un rythme annuel de progression de l'ordre de 5 %, et les salaires un rythme annuel de l'ordre de 8 à 10 %. Fin juin, le ministre des Finances desserre (d'un demi-cran) la ceinture du crédit : au cours du second semestre, les banques pourront accorder un peu plus (+ 3 %) de crédits aux entreprises ; mais l'encadrement est maintenu dans son principe, sauf pour l'équipement et l'exportation.

La crise boursière à Wall Street, où les cours ont baissé de 30 % durant les quatre premiers mois de 1970, accentue encore l'instabilité de l'environnement international. Le système monétaire mondial reste très fragile : pour éviter de dévaluer le dollar, les Américains s'emploient, chaque fois qu'ils sont en difficulté, à obtenir la réévaluation de la monnaie la plus forte (le DM en octobre 1969, puis le dollar canadien en juin 1970). L'inflation généralisée à travers le monde ajoute encore aux incertitudes. La grande peur est que tous les pays ayant subi, en même temps, une période d'inflation ne se retrouvent tous ensemble dans une période de récession. Le spectre de la grande crise de 1929 est agité ici ou là. Bien que les conditions soient très différentes aujourd'hui d'il y a quarante ans, cela contribue à entretenir un climat d'incertitude que la persistance des troubles dans les universités et la multiplication des actions revendicatives violentes avaient déjà développé.

En matière économique, il ne suffit plus de réussir avec plus ou moins de bonheur dans les exercices de navigation à vue. En France, l'achèvement du Ve plan et la préparation du VIe, au moment où commence un nouveau septennat, fournissent l'occasion de prendre un peu de recul par rapport à la vie quotidienne.

Résultats du Ve plan

Apparemment, les grands objectifs du Ve plan, qui a couvert la période 1966-1970, sont atteints. Le taux de croissance moyen, par an, dépassera peut-être même légèrement l'objectif de 5,7 %. Mais quand on considère les réalités d'un peu plus près, on observe que les grandes orientations du Ve plan ne se sont nullement traduites dans les faits. Il s'agissait d'assurer l'expansion de l'économie française dans une relative stabilité. Il n'en a rien été ; les prix ont augmenté trois fois plus vite que prévu ; l'équilibre extérieur a été à ce point détérioré qu'il a fallu dévaluer le franc ; ces dérapages, dus, pour une part, à la violente secousse de mai 1968, ont obligé le gouvernement à rogner sur ses propres objectifs. C'est ainsi que, pour l'ensemble des équipements collectifs (écoles, formation professionnelle, sports, recherche, hôpitaux, urbanisme, routes, transports, etc.), l'État n'aura réalisé les objectifs qu'il s'était fixés qu'à 84 %. Tout se passe comme si la France n'avait amélioré le niveau de vie individuel de ses habitants qu'en sacrifiant le cadre dans lequel celui-ci doit s'épanouir.