Voilà, d'ailleurs, le secret de cette réussite inattendue. Depuis la dévaluation d'août 1969, l'étranger a fait plus de bêtises que la France. L'inflation, qui sévit dans le monde entier, a placé les produits français dans d'excellentes conditions de compétitivité. Le seul pays qui a connu un ralentissement sensible de son activité économique a été les États-Unis, c'est-à-dire le pays industriel où nous exportons le moins. Au contraire, la demande est restée très vive dans les pays européens, singulièrement en Allemagne, où nous avons nos principaux clients.

En outre, la réévaluation du mark de 9,29 % le 27 octobre 1969 a joué un rôle décisif. D'une part, elle a porté le changement de parité du franc par rapport au mark à plus de 20 % ; du coup, notre taux de dévaluation à l'égard du plus important de nos partenaires commerciaux devenait beaucoup plus sensible et la compétitivité des produits français sur le marché allemand excellente. D'autre part, cette réévaluation levait une hypothèque qui pesait depuis de longs mois sur les mouvements internationaux de capitaux et favorisait le retour en France de capitaux qui s'étaient placés à l'étranger dans l'attente de cet événement.

Dans de telles conditions, la dévaluation du franc pouvait réussir, sous réserve de ne pas être compromise par des spasmes intérieurs trop forts. Le plus redouté, au retour des vacances de 1969, était l'affrontement avec les syndicats. G. Séguy, secrétaire général de la CGT, déclarait volontiers que le septennat n'irait pas jusqu'à son terme.

Automne chaud ?

La dévaluation, qui entraîne toujours mécaniquement des hausses des prix, donnait une justification à l'action revendicative. Celle-ci trouvait un terrain favorable dans le fait que les entreprises ayant des carnets de commandes bien garnis ne pouvaient pas prendre le risque de grèves de longue durée. Toutes les conditions étaient donc réunies pour un automne chaud. Or, celui-ci n'a pas eu lieu. On ne vit aucune grève de grande ampleur et de longue durée. L'explication réside dans trois phénomènes : tout d'abord, les syndicats étaient divisés, et plus particulièrement la CGT et la CFDT ne parvenaient pas à reconstituer un front commun, car la CFDT se souvenait des événements de mai 1968, durant lesquels la CGT avait essayé de tirer la couverture à elle. En second lieu, le niveau très élevé de l'activité économique permettait à de nombreuses entreprises de faire des concessions sur les salaires sans attendre de longs arrêts de travail. Enfin le gouvernement, lui-même, faisait preuve de beaucoup de souplesse et d'habileté. C'est ainsi que J. Chaban-Delmas inaugurait sa politique de « concertation permanente »en proposant dans le secteur public des contrats de progrès qui présentaient le double avantage de procurer des améliorations financières aux salariés et de diviser un peu plus les syndicats entre eux (la CGT devait refuser de signer un tel contrat à EDF, parce que celui-ci prévoyait, pratiquement, un préavis de trois mois avant des grèves avec coupures de. courant). De son côté, le président Pompidou lançait l'idée de l'actionnariat, ouvrier, en commençant par la Régie Renault, et, surtout, tenait sa promesse électorale de favoriser la mensualisation des ouvriers, payés, jusque-là, à l'heure.

La demande intérieure

Grâce à cela, l'économie française traverse l'automne, puis l'hiver et même le printemps, à peu près à pied sec, c'est-à-dire sans chavirer dans un torrent de grèves comme en connaît, au même moment, l'économie italienne. Il y a des arrêts de travail nombreux, mais localisés et de courte durée.

L'activité industrielle reste très élevée pendant toute la période. Après avoir connu, en 1969, un taux d'expansion record de 8 % (qui compensait, en fait, les pertes de 1968), l'économie française bénéficie encore, pendant tout le premier semestre de 1970, d'un rythme d'activité assez rapide. Tant et si bien que le ministère des Finances, qui, à la fin 1969, prévoyait pour 1970 un taux d'expansion de 4 %, doit réviser, au printemps, ses prévisions : l'expansion pourrait atteindre et même dépasser 6 %.