Le célèbre atomiste Andreï Sakharov, l'historien Roy Medvediev et le physicien Valentin Tourchine ont pu, sans être poursuivis, envoyer une lettre à Brejnev qui constitue une véritable charte de la libéralisation de l'URSS : « L'origine de nos difficultés se trouve dans les traditions antidémocratiques [...] qui sont apparues pendant la période stalinienne et n'ont pas été éliminées à ce jour. »

L'écrivain Anatoly Kouznetsov, qui, en juillet 1969, avait décidé de s'exiler en Angleterre, ne disait pas autre chose. Mais il n'osait le dire publiquement en Union soviétique. D'autres écrivains sont aussi réduits au silence : Alexandre Soljenitsyne, exclu en novembre de l'Union des écrivains, Alexandre Tvardovski, chassé en février 1970 de la revue Novy Mir, dernier bastion d'une pensée non conformiste en Union soviétique. « Plus de tolérance à l'égard de l'intolérance », demandait la conférence des artistes et des intellectuels convoquée par le parti le 11 décembre à Moscou. Cette formule inquiétante semble être appliquée. Pas toujours pourtant. Un cas sans précédent, celui du généticien Jaurès Medvediev (frère de l'historien), illustre dans ce domaine les hésitations des autorités. Arrêté le 29 mai et aussitôt interné après examen psychiatrique, Jaurès Medvediev est libéré le 17 juin 1970. Pourquoi ? Entre-temps se produit une démarche spectaculaire et unique dans l'histoire soviétique : les scientifiques se sont mobilisés pour sauver l'un des leurs. Au cours d'une entrevue orageuse, des savants comme Andreï Sakharov, le physicien Kapitza et Keldych, président de l'Académie des sciences, ont arraché la libération de Medvediev au ministre de la Santé, Z. Petrovsky.

En dehors des hommes de science, des intellectuels, des écrivains, il y a encore une autre catégorie à ranger dans la rubrique de la contestation en URSS : les juifs.

Ils sont quelque 3 millions qui se sont trouvés brusquement confrontés à une virulente campagne antisioniste, aux relents antisémites. Un livre comme celui d'Ivan Chetsov, Au nom du Père et du Fils, affirmant que « l'impérialisme américain sert les buts de Sion », n'est pas un phénomène isolé. L'agence de presse Novosti diffuse, en juin 1970, des extraits d'une brochure, Attention sionisme, expliquant notamment que les « contre-révolutionnaires tchécoslovaques tiraient leurs ressources d'un compte bancaire alimenté par Rothschild ». Des meetings sont organisés dans les usines pour dénoncer les « fascistes israéliens ». Une conférence de presse tenue le 4 mars à Moscou avec des personnalités juives soviétiques essaiera de convaincre l'opinion que les juifs de l'URSS condamnent eux aussi Israël. Mais, en novembre 1969, 18 juifs de Géorgie écrivent à l'ONU pour dénoncer les entraves apportées à leur volonté de quitter l'URSS. Et en mars 1970, 39 intellectuels juifs, suivis bientôt par un groupe d'habitants de Leningrad, s'adressent encore aux Nations unies : « Nous sommes prêts à tout abandonner pour aller en Israël même à pied. » Le 15 juin, après une étrange affaire à Leningrad, où, selon la version officielle, un « groupe de criminels » a tenté de détourner un avion, plusieurs juifs sont arrêtés.

L'engagement croissant de l'URSS dans le conflit du Moyen-Orient est en grande partie à l'origine de cette attitude. Les dirigeants soviétiques ont tenu à être présents sur trois fronts :
– Un front militaire d'abord ; à la suite d'une démarche désespérée de Nasser, venu en janvier et en juin à Moscou, ils ont accepté d'installer des fusées SAM 3 pour défendre le territoire égyptien et de faire voler leurs pilotes dans le ciel du Caire. Il s'agit davantage d'éviter un effondrement de l'Égypte que de préparer une offensive contre Israël. Les Soviétiques affectent toujours de croire à une solution politique ;
– Un deuxième front, celui des Palestiniens, pour lequel ils restent très réservés. Yasser Arafat, leader de l'OLP, a été accueilli à Moscou en février, mais les critiques soviétiques contre les extrémistes palestiniens n'ont pas cessé pour autant ;
– Un troisième front enfin, celui de la concertation avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, apparaît le plus important. De plans de paix russes en plans de paix américains, les points de vue se rapprochent lentement ; fin juin 1970, un certain optimisme commence à percer à Washington.