Jusqu'en avril 1970 Nixon pouvait espérer avoir réussi à désamorcer l'opposition intérieure à la guerre du Viêt-nam. Après une rentrée universitaire difficile à l'automne 1969, qui avait culminé, le 15 octobre, par les multiples manifestations du premier moratoire, le chef de la Maison-Blanche avait réussi à reprendre la situation en main par son discours du 3 novembre dans lequel il parla d'un « calendrier secret » pour mettre fin à la guerre, vanta les mérites de la « vietnamisation » du conflit et fit appel à la fibre patriotique de sa « majorité silencieuse » pour que les États-Unis ne connaissent « ni la défaite ni l'humiliation ».

Le moratoire du 15 octobre avait constitué un avertissement d'autant plus grave pour Nixon que les millions d'Américains qui y participèrent n'étaient pas tous, loin de là, des étudiants. Anciens collaborateurs de Lyndon Johnson, hommes d'affaires de Wall Street, membres des professions libérales, quelques syndicalistes même y prirent part. Pour la première fois, l'opposition ouverte à la guerre gagnait hors des campus. Il n'était plus possible de réduire le mouvement aux frontières des universités.

Le discours du 3 novembre et de nombreuses allocutions beaucoup plus violentes dirigées spécialement contre les protestataires — qualifiés de « snobs impudents et efféminés » — et contre la grande presse libérale renversent la tendance. On s'en rend compte lors du second moratoire, le 15 novembre. Contrairement au premier, qui avait été organisé à l'échelon national par des libéraux qui avaient travaillé en 1968 pour le sénateur Eugène McCarthy, le second moratoire se déroule essentiellement à Washington. Ses organisateurs sont beaucoup plus radicaux (certains se veulent même révolutionnaires) que l'équipe du 15 octobre. Cette radicalisation du mouvement, les attaques incessantes de l'Administration contre les contestataires effraient bon nombre de sympathisants. C'est finalement un succès quantitatif (plus d'un demi-million de personnes y participent), mais la grande majorité des manifestants viennent des collèges et des campus. Quelques échauffourées, provoquées par des Weathermen, militants d'inspiration maoïste, partisans systématiques de la violence exemplaire, permettent à l'Administration de consolider son avantage.

Le massacre de Song My (My Lai)

En novembre 1969, peu après le second moratoire éclate l'affaire du massacre de Song My : grâce aux témoignages de plusieurs anciens Gls, on apprend qu'en 1968 une unité américaine a pratiquement exterminé toute la population d'un petit village sud-vietnamien : Song My. Fief du Front national de libération, Song My n'avait offert aucune résistance aux troupes américaines, car les hommes avaient déserté le village. Malgré cela, l'ordre était venu de nettoyer ce nid à Viets, et des dizaines de jeunes Américains participèrent au massacre, dont les sanglantes photos allaient s'étaler, en noir et en couleurs, dans la plupart des journaux américains (dont l'hebdomadaire Time). Le président Nixon fit savoir que les coupables seraient punis. Quelques mois plus tard, on apprenait qu'une dizaine d'officiers, dont un général, le directeur de l'école de West Point, étaient inculpés dans cette affaire qui n'est pas encore jugée.

Intervention critiquée

L'affaire vietnamienne va rebondir, au détriment de l'administration Nixon cette fois-ci, quelques mois plus tard. Alors qu'il avait annoncé, le 20 avril, le retrait de 150 000 hommes du Viêt-nam échelonné sur un an, le président Nixon décide dix jours plus tard d'intervenir au Cambodge, où les forces communistes menacent le nouveau régime Lon Nol.

L'intervention militaire au Cambodge, présentée comme un moyen d'en arriver plus vite à la paix, soulève un tollé de protestations aux États-Unis. En quelques jours, le capital de crédit amassé par Nixon fond comme neige au soleil. À l'opposition des colombes du Sénat s'ajoute de multiples manifestations sur les campus. La révolte atteint son apogée au début du mois de mai, lorsque la garde nationale de l'Ohio ouvre le feu, dans un moment de panique, sur un groupe d'étudiants ; on relève 4 morts.