Le gouvernement a mis le temps à profit pour négocier et signer des accords dans les entreprises publiques et chez les fonctionnaires Philippe Malaud, secrétaire d'État à la Fonction publique, mène à bien, le 21 avril, une négociation intéressant quelque 2 millions de fonctionnaires. L'accord obtenu entraîne l'annulation de l'ordre de grève prévu pour le lendemain. Il prévoit une augmentation des traitements de 6 % en moyenne, avec garantie d'une certaine progression du pouvoir d'achat, des mesures catégorielles, l'intégration d'une partie de l'indemnisation de résidence dans le traitement et la suppression de la dernière zone d'abattement. Le 27 mars, tous les syndicats signent un accord d'entreprise à la Régie Renault : les ouvriers ayant trois ans d'ancienneté seront payés au mois en 1973. Dès le 1er juin 1970, 9 000 ouvriers horaires étaient mensualisés.

Dans le secteur privé, le CNPF parvient également à éviter la dégradation du climat. Le 20 avril, moins de deux mois après la publication du rapport des sages sur la mensualisation, une déclaration d'intention est signée entre le CNPF et les syndicats ouvriers. Les négociations sont immédiatement entamées dans la métallurgie et aboutissent à un accord durant l'été. Le 22 juin, un accord national sur la mensualisation est signé dans la chimie.

La CGT et la CFDT renouent leurs contacts à. la mi-juin. Elles ne peuvent guère envisager de mouvements que dans le bâtiment, pour le secteur privé, et à la RATP, pour le secteur public. Les Parisiens sont effectivement privés de métro et d'autobus le 15 juin, malgré les protestations des parents d'élèves, car les épreuves du baccalauréat se déroulent le jour même.

Les cadres rentrent aussi dans le rang. André Malterre, président de la CGC, avait pourtant annoncé début mai qu'ils étaient « en colère » et « au bord de la subversion ». Ils se contentent d'un meeting au Palais des Sports et d'un défilé symbolique, le 20 mai.

Fin juin, tous les syndicats décident officiellement de renvoyer la relance de l'action revendicative à l'automne.

Quelles leçons tirer de ces entrelacs de grèves et de négociations, de mécontentements affirmés et de satisfactions mitigées ? Il y a plusieurs explications à ce qui s'est passé.

– Comme les années précédentes, le secteur public a été au cœur du conflit, mais sur un mode différent. Les autres années, la procédure Toutée imposait un calendrier rigide aux revendications. Ainsi, fin décembre 1969, prélude : on constate le désaccord ; de janvier à mars, temps fort : on négocie sur le pourcentage d'augmentation et sur la ventilation de la masse salariale. Ce schéma a éclaté doublement : la globalisation a été abandonnée et désormais chaque entreprise a son calendrier de négociations ; les négociations de salaires et les négociations sur les conditions de travail ne sont plus dissociées. Le gouvernement a d'ailleurs fait preuve de souplesse en adaptant le mécanisme au rythme de l'action de ses partenaires. C'est sans doute ce qui a désamorcé les grands conflits.

– Le patronat lui-même a assoupli et diversifié sa stratégie. Le temps des défilés avenue Pierre-Ier-de-Serbie, devant le siège du CNPF, aux cris de « Patrons, négociez ! » semble révolu. En même temps qu'il renforce ses structures, le CNPF accepte la négociation au sommet. Outre la déclaration commune syndicats-patronat sur la mensualisation, des négociations sur la formation professionnelle se sont poursuivies toute l'année. Les chambres patronales, surtout celle de la sidérurgie, se montrent plus soucieuses de ne pas laisser pourrir les négociations. La pénurie d'acier dont souffre le marché occidental n'a certainement pas été étrangère à la facilité avec laquelle certains accords de salaires ont été conclus dans cette branche. Par ailleurs, une autre raison explique (de façon plus générale) pourquoi les salariés n'ont pas réagi plus vigoureusement contre le plan de redressement : les comptes de la nation ont laissé apparaître une progression des salaires nets de 14,7 % en 1969 par rapport à 1968.