Journal de l'année Édition 1969 1969Éd. 1969

– À l'EDF, tandis que la CGT entreprend des grèves tournantes par région, la CFDT poursuit une tactique d'actions localisées revêtant les formes d'une réduction de la durée du travail ;

– À la SNCF, c'est de la base que, sur le secteur Sud-Ouest et dans quelques autres dépôts, partent plusieurs arrêts limités de travail.

Mais, au total, une nouvelle fois, la CGT semble avoir infléchi sa stratégie ; rejoignant l'analyse gaulliste, elle craint que l'agitation ne se retourne contre elle. Au lendemain du succès du « non » au référendum, elle décide même d'annuler toutes les manifestations (rassemblements et défilés) prévues pour le 1er mai. Raison officielle : des provocateurs tant gauchistes que téléguidés par les gaullistes auraient risqué de susciter des actes de violence.

Négociations paritaires, agitation diffuse dans le secteur public, accalmie électorale : ces trois phases inhabituelles ont imprimé un tour nouveau aux relations sociales.

Bouleversements politiques ou non, dans le secteur privé, la politique paritaire a pris un essor nouveau. Poursuivant la mise en application des recommandations du constat de Grenelle, les cinq organisations syndicales représentatives et le CNPF se sont retrouvés le 5 mai 1969 pour « étudier les moyens permettant d'assurer avec le concours de l'État la formation et le perfectionnement professionnels, et rechercher, en ce qui concerne les cadres, un accord particulier ».

C'est, paradoxalement, au seul niveau non prévu par la loi du 11 février 1950 sur les conventions collectives — celui des accords interprofessionnels et nationaux — que s'est opérée la relance contractuelle. Malgré la théorie officielle du patronat, l'activité contractuelle est demeurée modeste dans les branches professionnelles. Qu'il s'agisse des salaires, de la réduction du temps de travail ou de l'emploi, rares ont été les conventions professionnelles dépassant les perspectives du constat de Grenelle ou de l'accord du 10 février 1969.

Si l'on considère parallèlement les efforts menés par l'aile avancée du patronat (Jeunes dirigeants, Patronat chrétien, et chefs d'entreprise rassemblés dans le Groupe d'études pour la réforme de l'organisation patronale — GEROP — au lendemain des événements de mai) pour renforcer les pouvoirs du CNPF aux dépens des professions, peut-être est-ce là l'annonce d'une mutation fondamentale des structures de discussion collective ?

Journées perdues

Pour l'ensemble de la France, le nombre de journées perdues pour fait de grève s'est élevé, en 1968, à 5 077 200. Chiffre somme toute peu élevé pour une année agitée, si on le compare avec ceux de 1963 (5 991 500), 1953 (9,7 millions), 1950 (11,7 millions), 1948 (près de 13 millions) et surtout le record de 1947 : 23,4 millions de journées de grève. En Europe, la France est en 1968 parvenue à battre l'Italie (2 439 800 journées perdues) et la Grande-Bretagne (4 millions de journées perdues) ; l'Allemagne n'en compte que 25 300 et les Pays-Bas moins de 14 000.

Les effets des grèves partielles

Le souhait d'un syndicalisme fort transparaît dans les propos de Jacques Ferry, président de la Chambre syndicale de la sidérurgie française : « Rien, a-t-il déclaré en juin 1969, ne fait plus de tort à l'industrie française et aux travailleurs eux-mêmes que ces conflits partiels, larvés, répétés, dont le principal et souvent seul résultat est un affaiblissement général de la productivité. » En cinq mois, note Jacques Ferry, on a observé dans la sidérurgie 120 grèves partielles concernant de 10 à 100 salariés à chaque fois, mais paralysant la production en raison du rôle important des ateliers où elles se produisaient. Au total, elles ont amputé la fabrication d'acier de 360 000 t, soit 3,7 % de la production annuelle. La perte s'élève à 168 millions de francs, c'est-à-dire à près de 30 000 F par travailleur en grève. La disproportion est grande entre le coût de ces grèves et celui de la satisfaction des revendications dont J. Ferry a reconnu qu'elles étaient rarement sans justification.

L'autorité en question

Comme les années précédentes, s'est confirmée la dégradation des rapports professionnels dans le secteur public ; la disparition de la procédure Toutée n'a pas empêché les grèves à la SNCF, à l'EDF-GDF au cours du premier trimestre 1969.

Le faible taux d'augmentation des salaires n'explique pas tout dans des entreprises qui, par ailleurs, ignorent les licenciements.

N'est-ce pas le signe qu'en France ce qui est contesté, c'est moins la propriété que l'autorité, qu'une société hiérarchisée et centralisée ? D'où les contrastes dans le style des relations sociales : style qui n'est pas tant la synthèse que la coexistence d'un autoritarisme limité et d'une insurrection latente contre l'autorité.