Malgré cette querelle, les membres du Conseil de la Société anonyme sont d'accord pour solliciter en justice la nomination d'un administrateur provisoire. Le vendredi soir, 23 mai, Pierre Bevierre, qui avait eu pendant cinq ans la charge d'Europe no 1 après le krach Michelson, se présente à l'assemblée des rédacteurs. « Seul responsable de la publication, dit-il, je maintiendrai les structures telles qu'elles sont. »

Les journalistes décident de suspendre la grève tant que l'administrateur provisoire restera en fonctions, tant que l'indépendance de la rédaction sera assurée. Le mardi 27 mai, le Figaro reparaît.

Sympathie et soutien

Pendant les quinze jours où le Figaro n'a pas paru, la rédaction a reçu de nombreux témoignages de sympathie et de soutien. Au Rond-Point, un livre d'or portant en exergue le message de François Mauriac : « Je suis de tout cœur avec vous dans ce juste combat », s'est couvert de 3 000 signatures. Trois prix Nobel, une trentaine de parlementaires, le ministre de l'Éducation nationale, Edgar Faure, de simples lecteurs, des organisations syndicales et professionnelles, les rédactions de 68 journaux, radios, agences et publications, le Times, journal conservateur britannique et l'Unita, journal communiste italien, ont dit leur approbation.

Le 21 mai, le Parisien libéré et l'Équipe ne sont pas sortis des presses. Les rédacteurs de ces deux quotidiens ont décidé un arrêt de travail en raison du refus de leurs directions de publier un communiqué de l'Union nationale des syndicats de journalistes manifestant la solidarité de la profession avec les grévistes du Figaro.

Les sociétés de rédacteurs

Des sociétés de rédacteurs se sont constituées dans nombre de journaux, à Paris et en province, demandant qu'une loi leur reconnaisse le droit de représentation par une « minorité qualifiée » au sein des sociétés éditrices, eu égard à la spécificité de leur tâche d'informateurs et aux devoirs qui s'y attachent vis-à-vis du public. Certaines directions d'organes de presse s'inquiètent des « bouleversements » qui pourraient en résulter dans les structures et les organisations de leurs entreprises. Ce problème est de ceux sur lesquels le secrétaire d'État à l'Information est pressé de questions au cours des réunions professionnelles auxquelles il assiste.

Les hommes

– Jean Marin est reconduit pour trois ans dans ses fondions de directeur général de l'Agence France-Presse.

– Olivier Chevrillon, maître des requêtes au Conseil d'État, devient vice-président de la société Presse-Union, qui édite l'Express et l'Expansion.

– Sylvain Floirat, président d'Images et Son-Europe no 1, lance Un jour, magazine mensuel gratuit distribué à 3 millions d'exemplaires et imprimé à Darmstadt (RFA).

– Étienne Gillon (Librairie Larousse) est élu président du Syndicat des éditeurs.

– Pierre Sainderichain (Sud-Ouest) est élu président de l'Association des journalistes parlementaires.

– Gilbert Mathieu (le Monde) est élu président de l'Association des journalistes économiques et financiers.

Une solution possible

Des modifications dans les conditions de la concurrence résulteront-elles de l'extension à la presse du traité du Marché commun, de la floraison de journaux publicitaires gratuits, de l'introduction de la publicité de marques à la Télévision ? La presse, répond Joël Le Theule, ne saurait être considérée comme une marchandise, et, de ce fait, la création d'un marché concurrentiel ne s'impose pas. Les journaux financés en totalité par la publicité ne bénéficient d'aucune des aides que l'État consent à la presse. Les craintes extrêmes qui s'étaient manifestées avant l'introduction de la publicité à l'ORTF ont été, à l'expérience, largement dissipées.

En décembre, le gouvernement, qui avait jusqu'alors marqué son désir de ne pas intervenir dans le problème des sociétés de rédacteurs, décide de créer une commission de hauts fonctionnaires et de personnalités indépendantes chargée d'élaborer un rapport sur cette question. La Fédération française des sociétés de journalistes tient son premier congrès à Paris et demande que le Parlement soit saisi d'un projet de statut. Constituée le 1er mars, la commission se donne un délai de cinq mois pour dégager les voies et les moyens d'une solution.

Les causes profondes

À la veille de la grève du Figaro, le 12 mai, s'achève à Ajaccio le congrès du Syndicat national des journalistes (autonome). Il a récapitulé toutes les causes du malaise qui pèse sur la profession : la concentration entre le Progrès de Lyon et le Dauphiné libéré poursuivant un mouvement qui a réduit le nombre des titres quotidiens de 180, en 1947, à 91, en 1967, entraînant un chômage croissant, les licenciements à l'ORTF, la grève de la presse filmée en avril y participent. Mais, surtout, les journalistes de la presse écrite, parlée, télévisée, filmée, dénoncent « l'état de sujétion dans lequel trop souvent, par les pouvoirs et par l'argent, sont placés les journalistes ». Les problèmes d'éthique, d'indépendance et de dignité prennent le pas sur les revendications matérielles.