Les statues ne sont pas les seuls objets découverts : elles font partie de tout un ensemble de menhirs, lui-même associé à une culture dont d'autres témoignages ont été dégagés.

Des formes plus fines

Après quatorze années de recherches, Roger Grosjean a pu établir une classification qui permet de comprendre l'évolution de la civilisation mégalithique corse et celle de ses menhirs. Cette classification distingue trois grandes périodes, la période centrale (le mégalithique II) s'étendant de la fin du IIIe à la fin du IIe millénaire. Les menhirs peuvent eux-mêmes, pour la plupart, être rattachés à l'une ou l'autre de ces périodes. On peut y reconnaître six stades successifs.

Il y a d'abord eu des menhirs de petite taille et non anthropomorphes, mais travaillés. Puis ce sont des menhirs protoanthropomorphes, qui ont une forme humaine très schématisée. Enfin naissent les menhirs anthropomorphes, résultats d'une évolution plusieurs fois séculaire. Leur tête est nettement distincte de la masse du corps.

Des étrangers

Ce sont les statues-menhirs porteuses d'armes gravées ou sculptées qui intriguent surtout. Elles sont représentées avec un casque, avec épée ou poignard, parfois l'un et l'autre. La représentation des armes apparaît particulièrement soignée. On y reconnaît sans difficulté deux types principaux. Or, Roger Grosjean a pu constater qu'aucun de ces deux types ne correspondait à l'armement des mégalithiques de Corse.

La seule interprétation possible de ce fait est la suivante : les statues-menhirs représentent des hommes, des guerriers, qui n'appartenaient pas au peuple des mégalithiques. C'étaient des étrangers, et les sculpteurs représentaient d'eux ce qui leur paraissait le plus remarquable ou le plus redoutable : l'armement. Mais pourquoi représenter des étrangers ?

Ce stade des statues-menhirs peut être daté à l'aide des autres objets découverts. La période en question correspond à la seconde moitié du IIe millénaire av. J.-C. (entre 1500 et 1000 avant notre ère). Or, à cette époque, il existait en Corse une autre civilisation, plus exactement une autre culture. Elle a laissé ses témoignages : des édifices en pierres sèches flanqués de tours circulaires, en coupole, hautes de 6 à 8 m. D'où le nom de Torréens que Roger Grosjean a donné aux constructeurs de ces édifices.

Les mégalithiques sont antérieurs aux Torréens : au début du IIe millénaire, ils occupaient l'ensemble de l'île. Mais à la fin du même millénaire les Torréens s'étaient implantés dans toute la moitié méridionale.

La conquête

Il y a eu conquête : l'hostilité entre les deux cultures est suggérée par les pointes de flèche en pierre des mégalithiques — des indigènes — découvertes dans les enceintes ou à l'intérieur de certaines citadelles torréennes. Elle est également suggérée par la destruction du grand site mégalithique de Filitosa par les Torréens. Ceux-ci ont renversé ou brisé les statues-menhirs, et ont construit un de leurs édifices sur l'emplacement de ce haut lieu indigène. Enfin, c'est à partir de cette époque seulement que les mégalithiques ont élevé des fortifications. Auparavant, ils n'étaient pas menacés.

Pour Roger Grosjean, ces statues-menhirs qui s'élèvent toujours à proximité d'une sépulture mégalithique, et qui représentent des ennemis, ne pouvaient avoir qu'une signification : ils étaient des ennemis tués au combat. Cette signification peut être étendue des statues-menhirs aux menhirs anthropomorphes, et même à tous les menhirs corses, puisque tous font partie d'un même ensemble.

C'est la première fois que la signification des menhirs donne lieu à une hypothèse sérieuse, fondée sur des faits archéologiques. Roger Grosjean se garde bien d'étendre son explication aux menhirs situés hors de la Corse.

Magie et envoûtement

Les statues découvertes à l'automne 1968 l'ont été sur les sites de Cauria et d'Apazzu, déjà connus pour leurs alignements. Sur l'une des statues de Cauria, on a constaté des dizaines de trous forés dans le granité, tous autour de la pointe de l'épée. Cela confirme l'importance que les mégalithiques attachaient aux épées de leurs ennemis et suggère des pratiques de magie et d'envoûtement.