S'ajoutant aux greffes de rein, de cornée oculaire, de moelle osseuse, qui sont déjà pratiquées depuis plusieurs années, ces interventions, dont la plupart relèvent encore davantage de la chirurgie expérimentale que de la thérapeutique proprement dite, ont sans aucun doute marqué notre époque, dont elles constituent, de loin, le principal événement médical.

À l'exception du système nerveux qui soulève des difficultés tout à fait particulières, il n'existe pratiquement plus d'obstacles d'ordre technique s'opposant à la plupart des transplantations d'organes.

Pourtant, à l'admiration et à l'espoir qu'ont fait naître ces tentatives sont venus aussitôt s'ajouter un certain scepticisme, de nombreuses réserves et parfois de sévères critiques : bon nombre de problèmes non ou mal résolus rendent encore cette thérapeutique limitée dans ses applications.

Les uns sont propres à l'organe considéré (vascularisation du foie et du poumon, par exemple, reprise de fonction pour le larynx, etc.), les autres tiennent à la transplantation elle-même ; ils doivent être étudiés avec attention, si l'on veut caresser l'espoir, pour l'instant tout à fait chimérique, de transformer cette chirurgie d'exception en médecine de routine.

En effet, si les transplantations cardiaques ont dépassé la centaine dans le monde, il faut savoir, parallèlement, que moins d'un tiers des opérés sont encore en vie aujourd'hui. Sur les trente-trois premières greffes effectuées, seuls, à la date du 30 juin 1969, le docteur Blaiberg (un an et demi), opéré par le professeur Barnard, et le R. P. Boulogne (1 an et 2 mois), opéré par le professeur Dubost, à l'hôpital Broussais, à Paris, ont survécu.

Cinquante et une équipes chirurgicales ont procédé à une transplantation cardiaque, mais plus de 30 d'entre elles n'ont pas enregistré, pour l'unique malade qu'elles ont opéré, plus d'une semaine de survie, voire, en certains cas, quelques heures. Certains, tel le docteur Grondin au Canada (9 greffes, 9 échecs) ou le docteur Denton Cooley à Houston, aux États-Unis (19 greffes, 17 échecs), n'ont guère apporté la preuve que la transplantation cardiaque pouvait constituer une thérapeutique sûre et efficace, alors qu'à l'opposé Barnard (4 greffes, 3 survies), Dubost (3 greffes, 2 survies) ont obtenu des résultats que l'on peut, à tout le moins, qualifier d'encourageants.

Groupes tissulaires

Pour le foie (aucune survie de plus de treize mois, aucun patient en vie à l'heure actuelle) et le poumon (1 seul survivant en Belgique pour 15 opérés dans le monde), les résultats, compte tenu sans aucun doute de la complexité de l'organe, sont encore très peu satisfaisants et l'on peut dire que, hormis les greffes du rein (plus de 1 500 au total, 75 % de survie pour celles qui ont été effectuées ces deux dernières années), aucune transplantation d'organes n'a réellement encore fait ses preuves.

La principale raison, on le sait, est d'ordre immunologique : un organisme rejette systématiquement cellule, tissu ou organe qui lui sont étrangers. Cette lutte constante, qui lui permet de protéger son intégrité, et en particulier de s'opposer efficacement à la plupart des infections microbiennes, devient désastreuse lorsqu'une greffe est nécessaire. La découverte des groupes tissulaires, faite par le professeur Jean Dausset à l'hôpital Saint-Louis, à Paris, a permis en partie d'y remédier.

La compatibilité

Il n'y a pas d'hommes, exception faite du cas des jumeaux vrais, qui possèdent rigoureusement le même équipement immunologique. Quelques-uns sont très proches, la plupart sont extrêmement différents. De la même façon que les transfusions sanguines ne peuvent s'effectuer sans danger qu'entre gens de même groupe ou de groupes compatibles, le professeur Dausset, puis Van Rood en Hollande et Payne aux États-Unis, ont mis en évidence des groupes tissulaires déterminés par la présence chez les ressortissants d'antigènes de greffes qu'il est nécessaire de respecter pour que diminue la réaction de rejet.

L'appareillement du donneur et du receveur constitue, sans conteste, la plus importante difficulté des transplantations. L'autorisation de prélever un organe sur un cadavre placé en survie artificielle ne suffit pas à donner le feu vert à une opération. Il est indispensable que les tests de compatibilité tissulaire soient satisfaisants. À titre d'exemple, signalons que le P. Boulogne était remarquablement appareillé avec son donneur, puisque, sur les 17 antigènes connus chez l'homme, 10 étaient identiques, 5 compatibles et 2 seulement (antigènes faibles) différents.