Michel Cournot, le critique au vitriol, est passé de l'autre côté du miroir avec une œuvre irritante, mais qui ne saurait laisser indifférent : les Gauloises bleues. Claude Lelouch a ajouté une pièce nouvelle au plaidoyer des cinéastes contre la peine de mort : la Vie, l'Amour, la Mort ; René Allio a su rendre, dans Pierre et Paul, le désarroi des petits enfants de la société de consommation ; Alain Cavalier a illustré avec bonheur et intelligence le roman de Françoise Sagan la Chamade ; Maurice Pialat a montré beaucoup de pudeur et de tendresse dans l'Enfance nue.

Walerian Borowczyk, en maniant avec ferveur quelques personnages-marionnettes dans le royaume insolite de Goto, l'île d'amour, a ouvert une nouvelle brèche salutaire dans le cinéma de style cartésien, tout comme Robert Lapoujade avec son séduisant Socrate.

Le grotesque volontaire de Mister Freedom, de William Klein, a paru parfois un peu laborieux, mais celui, involontaire, de Roger Vadim (Barbarella) a beaucoup diverti les masochistes.

Louis Malle, avec Calcutta, a porté un coup fatal au documentaire de style paternaliste ou faussement poétique. S'effaçant constamment derrière la réalité dramatique de son propos, il a su résoudre avec élégance et sincérité les délicats problèmes qui se posent à l'homme qui filme la misère des autres. L'important est de donner à voir.

Quant à Luis Buñuel, il a fort heureusement manqué à sa parole en n'achevant pas sa carrière sur une œuvre de facture mondaine, Belle de jour, mais en tournant un film plein de jeunesse et d'allant, la Voie lactée, qui apparaît comme le bilan d'un artiste, son testament moral et religieux, un habile pot-pourri d'obsessions, de questions, d'investigations, où le cocasse s'intègre subtilement au tragique.

La théologie sauvée par l'humour, la métaphysique par le réalisme : Buñuel a réussi sa sortie de scène en exécutant quelques pirouettes qui lui ont valu les faveurs du public. Malgré le brio de l'acrobate, il est tout de même permis de préférer l'homme qui signa Viridiana ou l'Ange exterminateur.

États-Unis

La comédie musicale envahit les écrans américains. Son succès étonne de ce côté-ci de l'Atlantique, où l'on demeure assez réticent, sinon hostile, à cette forme de divertissement éminemment anglo-saxonne. West Side Story aura été l'exception qui confirme la règle.

Star, de Robert Wise, présenté à la sauvette dans une minuscule salle de Paris, démontre avec force l'indifférence des Français à l'égard d'un genre qui ne correspond sans doute pas à la sensibilité du spectateur. Le relatif succès de Funny Girl, de William Wyler, doit tout à son interprète féminine, Barbra Streisand, devenue en un an l'une des stars les mieux payées du monde.

Le film policier a ses adeptes, ses fanatiques et aussi ses nostalgiques. Bullitt, de Peter Yates, a bénéficié d'un heureux concours de circonstances — et aussi d'une scène palpitante de course-poursuite entre deux voitures dans les rues en dos d'âne de San Francisco.

Les grands espaces

Quel que soit le plaisir que l'on puisse prendre à sa projection, il est fort exagéré de prétendre que Bullitt soit de la même veine que L'enfer est à lui ou que le Grand Sommeil, par exemple, et que Steve McQueen ait pris la place laissée vacante par Humphrey Bogart. Le vétéran Gordon Douglas, dans un film plus modeste, le Détective, se montre infiniment plus corrosif que Peter Yates.

Le western fait depuis quelques années un retour en force. Le plus médiocre western américain étant presque toujours supérieur au plus inspiré des westerns italiens, il faut signaler parmi les œuvres les plus brillantes les films de Budd Boetticher, Comanche Station et la Chevauchée de la vengeance, tournés il y a déjà huit ou neuf ans, mais d'une facture classique, et les films nerveux et insolites de Monte Hellman, The Shooting et l'Ouragan de la vengeance.

La science-fiction, qui, au cinéma, fait figure de parente pauvre, a-t-elle trouvé en la personne de Stanley Kubrick son premier grand metteur en scène ? 2001 : l'Odyssée de l'espace est un opéra-fiction à prétentions métaphysiques qui éblouit plus qu'il ne convainc. Il a au moins l'immense mérite d'utiliser avec bonheur, d'une part les trucages techniques les plus élaborés et d'autre part les ressources d'un écran large qui n'a aucune peine à engloutir le spectateur le plus réticent dans les espaces intersidéraux.

Chaplin ou Keaton

Le grand succès de l'année est sorti des usines Walt Disney. Le Livre de la jungle, présenté opportunément pendant les fêtes de fin d'année, a attiré près d'un million de spectateurs à Paris. Les pires défauts du style Disney se retrouvent dans ce film assez vulgaire, qui n'a jamais su retrouver la délicatesse et l'infinie poésie du livre de Rudyard Kipling ; Disney disparu, le label Disney est toujours prêt à attirer les alouettes. Il est dommage que le Livre de la jungle soit plus racoleur qu'enchanteur, plus roublard que naïf. On était en droit d'attendre plus qu'un Astérix du riche.