Ce genre de démenti ne fait que relancer la spéculation. Le 14, la France perd 500 millions de francs. Tout le monde attend la réunion des dirigeants des principales banques centrales de l'Occident, à Bâle, le 17. La réunion s'achève sans qu'aucun communiqué soit publié. Le mystère alimente les rumeurs. Le 18, M. Couve de Murville paraît à la télévision pour rassurer l'opinion et annoncer des mesures d'austérité. Le 20, les ministres des Finances des dix pays les plus riches se retrouvent à Bonn, symbole de la puissance financière de l'Allemagne, « géant de l'économie qui reste un nain de la politique ». C'est l'heure de vérité ! Les marchés des changes sont fermés un peu partout en Europe, dans l'attente des décisions de ce véritable conclave financier.

Très vite, il apparaît que les Allemands ne réévalueront pas le mark. Ils ne veulent pas payer, disent-ils, pour les erreurs des autres. Ils consentent seulement à surtaxer leurs exportations et à détaxer leurs importations de 4 %. Tous les regards se tournent alors vers la France. Les pays étrangers sont prêts à consentir une aide de 15 milliards de francs à la France si elle limite une dévaluation de sa monnaie à 10 %, afin de ne pas entraîner toutes les autres monnaies occidentales dans un chaos inextricable. Le ministre allemand des Finances, F.-J. Strauss, déclare le vendredi 22, à la fin de la conférence de Bonn : « Il appartient au gouvernement français de fixer le montant de la dévaluation. »

La décision

À Bruxelles, le Premier ministre, G. Eyskens, déclare de son côté : « Même si la dévaluation en France dépasse 10 %, la Belgique ne suivra pas le mouvement. »

Pour le monde entier, la question est réglée : le franc va être dévalué. À Paris, le Monde du vendredi soir titre : « Le taux de la dévaluation serait officiellement annoncé samedi. » Samedi matin, le Figaro écrit en manchette : « Dévaluation du franc. » Le Conseil des ministres se réunit l'après-midi du samedi. Il délibère pendant plus de trois heures. En début de soirée, c'est la bombe : « Le président de la République fait connaître qu'à la suite du Conseil du 23 novembre la décision suivante a été prise : la parité actuelle du franc est maintenue. »

Surprise, stupeur, soulagement ; le général de Gaulle a, une fois encore, étonné le monde entier. En réalité, le chef de l'État semblait, vendredi soir, résigné à la dévaluation. Le vent a tourné le samedi matin, quand l'un de ses ministres, Jean-Marcel Jeanneney, est venu le voir pour le convaincre de n'en rien faire.

Trois arguments sont utilisés par les adversaires de la dévaluation : celle-ci serait un échec, car l'activité est trop forte en France pour qu'une dévaluation modérée suffise à orienter vers l'étranger les entreprises qui vendent ce qu'elles veulent sur le marché intérieur ; la France ne peut pas donner l'impression qu'elle se soumet au diktat de l'étranger ; une dévaluation du franc compromettrait le marché commun agricole, où tous les prix sont exprimés dans une unité de compte indépendante des monnaies nationales.

Le plan d'austérité

Le dimanche 24, le général de Gaulle s'adresse à la nation : « La crise monétaire traversée par la France est la conséquence de la secousse morale, économique et sociale qu'elle a subie à l'improviste aux mois de mai et de juin derniers... Cependant, en dépit du mauvais coup qui lui avait été porté, notre économie s'est ressaisie. Le travail a repris partout. L'expansion se développe de nouveau. Le commerce extérieur s'accroît. Les États les mieux pourvus viennent de nous ouvrir des crédits considérables, qui peuvent encore être augmentés et qui s'ajoutent aux réserves qui nous appartiennent en propre. Enfin, on voit venir le jour où, à force d'expériences fâcheuses, le monde entier sera d'accord pour établir un système monétaire impartial et raisonnable, mettant chaque pays, dès lors qu'il le méritera, à l'abri des mouvements subits et absurdes de la spéculation. Bref, nous avons, en toute vérité, pour le présent et pour l'avenir, tout ce qu'il faut pour achever le rétablissement commencé et repasser en tête du peloton. C'est pourquoi, tout bien pesé, j'ai, avec le gouvernement, décidé que nous devions achever de nous reprendre sans recourir à la dévaluation. »