C'est même de l'observation minutieuse de ce réseau de relations délicieusement absurdes que nous pouvons tirer connaissance et ravissement. Le regard promené par Virginia Woolf sur la vie quotidienne est celui de Flush, le cocker, museau au ras du sol, à la fois inspection inquiète et contemplation. La Mort de la Phalène rassemble des textes écrits de 1917 à 1939 et qui sont autant de croquis, d'esquisses, de scènes et d'attitudes, un catalogue de sensations tactiles, visuelles, olfactives, un livre d'« épiphanies ».

Du lyrisme à la description, ces récits témoins notent les progrès de la corrosion du temps, « miroir d'où coule un acide » qui ronge ce qu'il y a d'éphémère et de merveilleux dans les êtres et les choses, découvrant à l'homme son intime et insupportable solitude.

Japon

Ce thème lancinant et cette écriture impressionniste, nous les retrouvons curieusement chez Yasunari Kawabata. Le Prix Nobel a attiré l'attention sur une œuvre déjà ancienne : le Grondement de la montagne, publié cette année en français, date de 1949 et vient bien après les grands livres que sont la Danseuse d'Izu (1926) et Pays de neige (1935). Yasunari Kawabata a fait très tôt l'épreuve de la mort et de l'abandon : son premier récit, Journal de seize ans, décrit l'agonie de son grand-père ; en 1925, il analysait les Sentiments d'un orphelin.

Influencé par les conteurs russes et les recueils bouddhiques, procédant par méditation patiente et brutales intuitions, il cherche, pour peindre de fines créatures vouées au malheur, « une expression qui jaillisse de l'incorporation du sujet à l'objet ».

Si cette esthétique a pu faire taxer son œuvre d'ambiguïté, il n'en est pas de même pour Mishima Yukio : la netteté et la sobriété de sa touche délimitent un monde d'une totale absurdité, le Marin rejeté à la mer. Au-dessus du port de Yokohama, dans une maison aisée, ornée de bibelots rares, une veuve, très belle, s'éprend d'un officier de marine. Le fils unique de cette femme, âgé de treize ans, cherche au milieu d'une bande d'enfants une compensation à son amour frustré : ils procèdent à la mise à mort d'un chat.

De plus en plus bouleversé par l'intrusion d'un « autre » dans son univers familier, épiant l'évolution sentimentale et sensuelle de sa mère, l'enfant décide de se débarrasser de son rival : « remorqué », questionné, drogué par la bande, le marin subira le sort du chat. « La vie, conclut Mishima Yukio, est un chaos d'existences qui se désagrègent à chaque instant. »

Russie

L'affrontement avec la mort, Soljenitsyne l'exprime, lui aussi, avec une poignante intensité, mais dans un registre bien différent. Dans le Premier Cercle, où des détenus groupés dans une prison spéciale poursuivent des recherches scientifiques, comme dans le Pavillon des cancéreux, où, dans un hôpital, profiteurs et victimes du régime stalinien meurent côte à côte en s'entre-déchirant, la mort est subie avec terreur. Roussakov, l'ouvrier qui s'est élevé à force de délations et de conformisme, et Kostoglotov, le prisonnier politique, regrettent le calme des paysans d'autrefois, qui s'apprêtaient à quitter la vie « comme s'il s'agissait simplement de changer d'isba ».

Tchécoslovaquie

Dans un régime où toute relation suppose un rapport de police, la destinée humaine finit par prendre l'allure d'une grosse farce. C'est ce que pense Ludvik dans la Plaisanterie, de Milan Kundera. Il déclare, par carte postale, à une amie que « l'optimisme est l'opium du genre humain ».

Cette coupable réflexion le fait passer de la faculté au bataillon disciplinaire. L'échec de son amour impossible pour Lucie préfigure sa vengeance dérisoire : réhabilité, Ludvik séduira, sans passion, la femme de son ancien camarade, responsable de ses malheurs, alors que celui-ci cherchait depuis longtemps à se défaire de son épouse.

Allemagne

Ainsi, les interdits politiques s'ajoutent aux troubles de l'affectivité. La déchirure de l'Allemagne est pour Uwe Johnson, Deux points de vue, l'image même de l'impossible accord entre le photographe de presse du Holstein et l'infirmière de Berlin-Est.