Le 20 février 1969, le maréchal Yakoubovski vient demander l'autorisation des manœuvres à Bucarest. Ceausescu refuse, mais fait des concessions. La participation de troupes roumaines à des exercices militaires, du 25 mars au 1er avril, en Bulgarie, et la présence de la Roumanie à la conférence du Pacte de Varsovie, le 17 mars, à Budapest, en fournissent l'essentiel. L'Union soviétique sait s'en contenter et la visite de Manescu, le ministre roumain des Affaires étrangères, le 6 avril, à Moscou, suivi en mai par Ceausescu, indique la volonté de l'URSS de geler provisoirement son contentieux avec la Roumanie.

La conférence mondiale des PC

L'échéance de la conférence mondiale des partis communistes, le 5 juin 1969, à Moscou, n'est pas étrangère à cette attitude. L'URSS, qui, au départ, voulait la convoquer pour mettre la Chine au ban du communisme international, paraît s'être résignée à exiger moins, pour rassembler le maximum de participants.

Le 30 septembre 1968, à la réunion préparatoire de Budapest, les partis occidentaux — en premier lieu les Italiens, qui dénoncent le nouveau coup de Prague — ont obtenu l'ajournement de la conférence prévue pour novembre 1968. Ils acceptent finalement, après d'âpres discussions, fin mars 1969, à Moscou, de fixer la date du 5 juin. Mais les Soviétiques devront accepter, sous la pression des Italiens, des Roumains, des Suisses, des Belges et de quelques partis d'Amérique latine, de soumettre aux différentes directions le principal document de travail sur « l'unité du mouvement ouvrier ».

Ce texte comporte, aux dires des opposants, des relents de la thèse de la souveraineté limitée. C'est pourtant sur lui que porte la grande discussion ouverte le 5 juin 1969 dans la salle Saint-Georges du Kremlin. 75 partis y participent dans une ambiance de liberté et de publicité sans précédent pour un forum communiste.

Les contestataires auront droit aux honneurs de la Pravda. Ainsi — révélation extraordinaire pour eux — des millions de lecteurs soviétiques apprennent que le délégué australien s'est élevé contre l'intervention en Tchécoslovaquie, que E. Berlinguer, le représentant du PC italien, a fait de même et est allé encore plus loin en affirmant que « la vision du socialisme qui émane du document ne correspond pas à l'image de la société socialiste pour laquelle nous nous battons ».

De cette liberté d'expression accordée aux partis minoritaires, les Soviétiques et leurs alliés — notamment le Polonais Gomulka et Waldeck Rochet — en profitent pour critiquer la Chine, dont une entente tacite voulait que le nom ne soit pas prononcé. La délégation roumaine s'inquiète, proteste, mais ne quittera pas la réunion.

Celle-ci s'achève avec l'adoption d'un document unique dans l'histoire du communisme. Il consacre, en effet, avec éclat la théorie de la diversité des formes d'accès au socialisme, nie l'existence d'un centre dirigeant du communisme et réaffirme l'égalité de tous les PC. Mais il passe sous silence les problèmes du socialisme dans les États qui se réclament de lui. Et une petite phrase restreint singulièrement l'indépendance des PC : « Chaque parti porte une double responsabilité, devant sa classe ouvrière et aussi devant la classe ouvrière internationale. »

C'est pourquoi douze PC — Italie, Saint-Domingue, Cuba, Suède, Roumanie, Angleterre, Norvège, Australie, Réunion, Saint-Marin, Suisse et Espagne — marqueront leur désapprobation soit en refusant de signer tout ou une partie du texte, soit en formulant des objections. L'URSS a dû s'incliner devant ce constat de défiance, comme elle s'est inclinée en reconnaissant son impuissance à obtenir une condamnation formelle de la Chine, dont le nom n'est pas cité dans le texte.

La souveraineté limitée

Une contribution soviétique à la doctrine des relations internationales a fait couler beaucoup d'encre et suscité de vives controverses : c'est la thèse de la souveraineté limitée. D'abord forgée pour justifier l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie, elle a depuis surtout servi contre les velléités d'indépendance de la Roumanie, qui l'a dénoncée avec vigueur. Sa première esquisse date d'un discours de Léonide Brejnev, le 3 juillet 1968, au Kremlin : « Nous ne pouvons être indifférents au destin de l'édification du socialisme dans les autres nations : chaque pays le construit selon ses particularités nationales, mais il est nécessaire d'avoir des principes communs. » C'est le journal de l'armée l'Étoile rouge qui, en février 1969, en donne la formulation la plus nette : « Tout pays appartenant à un système ne peut être entièrement indépendant de ce système. »

Les combats sur l'Oussouri

La Chine, jamais les habitants de l'URSS ne l'ont sentie aussi proche, aussi menaçante.