Les affiches transmettent aussi cet appel aux soldats soviétiques : « Ivan, rentre à la maison, Natacha a besoin de toi. » Ivan comprend de moins en moins, ou rumine ce vieux proverbe russe : « L'hôte qui n'a pas été invité est plus indésirable qu'un Tatar. »

Ivan ne sait pas non plus que le 25 août, sur la place Rouge, à Moscou, Larissa Daniel, femme de l'écrivain emprisonné Youri Daniel, et Pavel Litvinov, petit-fils d'un ancien ministre des Affaires étrangères de Staline, ont manifesté, en compagnie de quelques amis, contre l'intervention en Tchécoslovaquie. « Des voyous », dira-t-on plus tard, quand Larissa Daniel, Litvinov et leurs camarades seront condamnés à plusieurs années de résidence surveillée ou de prison. Des gens du même acabit que les jeunes débraillés aux cheveux longs de la place Venceslas.

Isolés du monde extérieur

À Moscou, Dubcek et ses camarades, brisés moralement et physiquement, tentent de limiter l'ampleur de la catastrophe. Les désaccords, entre eux, sur l'étendue des concessions qu'il convient de faire à Brejnev, rendent les négociations encore plus pénibles. Husak, le réaliste qui, dès le premier jour de l'invasion, avait fait allusion à une possible « solution politique », est, en fait, un de ceux qui tiennent le plus fermement tête aux dirigeants du Kremlin.

Pour mieux les tenir, les Soviétiques ont complètement isolé leurs hôtes du monde extérieur. Ils les ont empêchés de s'informer de la situation en Tchécoslovaquie et du développement du mouvement de résistance.

Brejnev a pu également tirer parti de la position du Conseil de sécurité de l'ONU, qui s'en tient au vote d'une résolution condamnant l'agression des Cinq. Jiri Hajek déclarera d'ailleurs bientôt que la Tchécoslovaquie n'a jamais demandé l'intervention des Nations unies dans cette affaire. On se félicitera dans les capitales occidentales de pouvoir ainsi classer le dossier.

La fin du printemps de Prague

L'annonce de l'« accord » signé à Moscou (« diktat », dit-on à Prague) plonge le peuple tchécoslovaque dans un profond désarroi. La joie de revoir les dirigeants fait place très vite au désespoir quand Dubcek annonce à mots couverts, le 28 août, que le printemps de Prague est terminé. Durant ce discours, il s'interrompra à plusieurs reprises, au bord de l'évanouissement.

C'est Josef Smrkovsky qui se charge, deux jours plus tard, d'annoncer les premières mesures de « normalisation » exigées par le Kremlin, en particulier la suppression des nouvelles organisations politiques qui s'étaient créées en marge du parti communiste (le club des 231 et celui des sans-parti engagés).

Les Tchécoslovaques nient que Dubcek ait « honteusement capitulé » et soit devenu une « marionnette », comme on l'affirme à Pékin. Un tract diffusé par les ouvriers d'imprimerie proclame, le 28 août encore : « Si chacun d'entre nous a son poste se conduit comme un petit Dubcek, nous arriverons au but. » C'est qu'en vérité une grande partie de la population, les moins jeunes surtout, le croit encore.

Cependant, le résultat des conversations de Moscou se fait rapidement sentir. Le comité central du PC tchécoslovaque, qui se réunit le 31 août, annule les décisions du 14e congrès clandestin. Gustav Husak et ses amis de Bratislava jouent un rôle déterminant dans cette décision. Le PC slovaque a tenu son congrès le 28, et a refusé d'admettre que le congrès clandestin, où étaient représentées presque uniquement les organisations du parti des régions tchèques de Bohême et Moravie, ait pu engager valablement le parti tout entier.

Husak est aussi ferme dans la défense des intérêts slovaques face aux Tchèques qu'il l'a été à Moscou face aux Russes. Les Soviétiques, qui avaient demandé l'annulation du congrès des révisionnistes, l'obtiennent donc, mais l'attitude de Husak à Moscou empêche que cette annulation apparaisse comme une concession aux envahisseurs.

La voie moyenne de Dubcek

Le comité central se donne une nouvelle direction d'où sont exclus plusieurs collaborateurs (Indra, Kolder, Bilak) et des progressistes notoires comme Kriegel et Edouard Goldstucker, le président de l'Union des écrivains. Dubcek adopte une voie moyenne.