Ceausescu doit sa popularité à la relative autonomie de son action diplomatique. La Roumanie est, en particulier, le seul pays du pacte de Varsovie, en dehors de l'URSS, qui ait établi des relations diplomatiques avec Bonn.

Quelques jours auparavant, Walter Ulbricht, chef du PC est-allemand, rencontre Dubcek à Karlovy Vary. À Prague, il risquait de recevoir un accueil assez froid. Objet des entretiens : les rapports avec Bonn. Ulbricht repart convaincu qu'une sorte de front commun Belgrade-Prague-Bucarest est en train de se constituer face à celui des Cinq. Les diplomates occidentaux, friands de parallèles historiques, évoquent le souvenir de la Petite-Entente qui avait uni la Roumanie, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie après la Première Guerre mondiale.

Brejnev balaie les hésitations

Après la visite à Prague du Yougoslave et du Roumain, la tension monte brusquement. Les Cinq estiment que leurs mises en garde successives et leurs réunions avec les Tchécoslovaques n'ont servi à rien.

La publication du projet de nouveaux statuts du PC tchécoslovaque, qui prévoient explicitement le droit pour la minorité d'exprimer une position divergente, en est une preuve à leurs yeux.

Il en résulte que la seule utilité des rencontres de Cierna et de Bratislava aura été de démontrer aux partisans de la patience et de la souplesse dans chacun des Politburo, à Moscou comme à Berlin-Est, à Sofia comme à Varsovie, qu'avec Prague les ménagements ne sont plus de mise.

Janos Kadar, mieux placé que les autres depuis l'intervention soviétique de 1956 pour savoir jusqu'où l'on ne peut pas aller dans la contestation du « modèle soviétique du socialisme », tente une ultime démarche auprès de Dubcek. Le 18 août, à Komarno, à la frontière hungaro-tchécoslovaque, il le prévient que la menace se précise.

Le chef du parti soviétique est rentré précipitamment de vacances, comme Alexis Kossyguine. Le lundi 20 août au soir, le Comité central du parti communiste de l'URSS donne le feu vert à Brejnev, qui balaie ainsi les hésitations qu'auraient manifestées, dit-on, Kossyguine et aussi des hommes comme Michel Souslov et Alexandre Chelepine, qu'on classe traditionnellement parmi les durs.

À Prague, le 20 août au soir, Dubcek lit aux membres du praesidium du parti, réunis au siège du comité central, une lettre de Brejnev. Celui-ci reproche à Dubcek sa faiblesse, sans faire la moindre allusion à l'imminente intervention armée. C'est alors qu'Oldrich Cernik, président du Conseil, vient, peu avant minuit, apprendre aux responsables du parti la nouvelle de l'invasion.

Les pro-Soviétiques se dérobent

Les dirigeants communistes, dans le monde, avaient admis sans difficulté la répression sanglante de 1956 en Hongrie. Cette fois, ils sont divisés. Le bureau politique du parti communiste français « réprouve » l'intervention. Le PC italien, dont le chef viendra le lendemain à Paris s'entretenir avec son collègue Waldeck Rochet, est plus ferme encore dans sa condamnation.

Tito, les dirigeants de Bucarest et ceux de Pékin stigmatisent l'« agression ». La Yougoslavie héberge plusieurs ministres tchécoslovaques, dont le vice-président du Conseil, Ota Sik, et le ministre des Affaires étrangères, Jiri Hajek, qui s'y trouvaient en vacances.

Ces hommes ne formeront pas de gouvernement en exil, mais prendront des positions très fermes et Belgrade les soutiendra sans réticence.

Tchervonenko, l'ambassadeur soviétique à Prague (il était primitivement en poste à Pékin), a, semble-t-il, assez mal apprécié le rapport des forces en Tchécoslovaquie. Dans les jours qui suivent l'invasion, il ne parvient pas à former un gouvernement favorable aux thèses de Moscou. Les pro-Soviétiques les plus convaincus se dérobent.

À l'aube pluvieuse du jeudi 22 août, l'ambassadeur doit constater, le premier moment de stupeur passé, la volonté de résistance qui s'affirme d'heure en heure. Les policiers tchécoslovaques refusent, à l'exception d'une dizaine, de collaborer avec leurs collègues soviétiques du KGB (police politique).

Un congrès à la barbe de l'occupant

Les responsables du parti communiste encore en liberté décident de réunir immédiatement le 14e congrès extraordinaire prévu pour le 9 septembre. Il se déroule clandestinement dans une usine de Prague, à la barbe de l'occupant, et sous la protection des milices ouvrières. Ces groupes de civils armés avaient bénéficié depuis 1948 de toutes les faveurs du régime et, un moment, les Soviétiques ont pensé qu'ils se montreraient très coopératifs avec eux.