En apparence au moins, il a forcé le TUC — confédération des syndicats britanniques — à prendre ses responsabilités, rétabli l'unité du Labour Party, évité un divorce définitif entre le gouvernement et le monde ouvrier. Mais à quel prix ? au prix d'une capitulation, d'une « retraite analogue à celle de Napoléon en Russie », dira la presse conservatrice.

Contre l'engagement formel des syndicats de faire eux-mêmes de l'ordre dans la maison, le gouvernement Wilson vient de retirer purement et simplement le projet de loi antigrève pour lequel il se battait avec acharnement. Le 16 avril, le Premier ministre déclarait encore : « L'adoption de cette loi est essentielle pour la survie du gouvernement. Il n'est pas question de faire marche arrière. »

Ce projet, dû à l'énergique Barbara Castle, ministre de l'Emploi et de la Productivité, publié au début de l'année sous forme de Livre blanc, devait être adopté par les Communes avant la fin de la session parlementaire.

Hanté par la nécessité d'assurer à tout prix le développement de la production industrielle, le gouvernement entendait grâce à cette loi mettre un terme aux grèves sauvages, c'est-à-dire aux grèves spontanées qui n'ont pas l'assentiment des syndicats, mais qui n'en représentent pas moins 95 % des conflits du travail aujourd'hui en Grande-Bretagne.

Difficiles à résoudre, car elles ne relèvent d'aucune procédure de conciliation, ces grèves bloquent souvent la production dans un secteur entier pendant des semaines. Selon les estimations patronales, elles auraient représenté en 1968 quelque 4 millions de journées de travail perdues, plus du double de l'année précédente. Le projet gouvernemental comportait des dispositions sévères pour combattre ce fléau : délai de vingt-huit jours avant tout arrêt de travail, arbitrage obligatoire, et enfin et surtout sanctions pénales contre les ouvriers qui ne se conformeraient pas à ces obligations.

Une épreuve de force

L'opposition des syndicats fut immédiate et catégorique. Celle de la gauche travailliste virulente. Paradoxalement, l'aile droite fit chorus, animée par des arrière-pensées politiques et des ambitions personnelles. Le Premier ministre composa, mais refusa cependant de renoncer aux sanctions. Les rebelles se durcirent. On n'hésita pas à remettre en cause toute la gestion du gouvernement.

La crise prit l'allure d'une épreuve de force et d'un complot contre le chef du gouvernement. On murmurait des noms de successeurs éventuels et le propre ministre de l'Intérieur, James Callaghan, prenait rang parmi les héritiers présomptifs en ralliant le clan des opposants. En arrachant au TUC, in extremis, une concession — la promesse de régler les grèves sauvages —, Harold Wilson réussit une fois encore un spectaculaire rétablissement. Son prestige n'en est pas moins profondément atteint.

La livre constamment menacée

La loi antigrève n'est qu'un épisode — important — dans une série ininterrompue d'erreurs, de désillusions et de promesses non tenues...

Sur le plan financier d'abord, la toile de fond sur laquelle se joue le drame du gouvernement travailliste depuis cinq ans. La dévaluation de la livre, intervenue trop tard, apparaît de plus en plus comme une opération ratée. Fin 1968, la balance des paiements, qui aurait dû être équilibrée, traduit toujours un déficit de 500 millions de livres et les réserves ont baissé de 10 %. En dépit des mesures d'austérité, le déficit commercial, un moment contenu, atteint un chiffre record en avril. L'Anglais consomme trop, n'exporte pas assez. La livre reste constamment menacée, la dette extérieure considérable. Pour y faire face, le gouvernement doit solliciter un nouveau prêt auprès du Fonds monétaire international.

Sur le plan politique, la situation ne cesse de se dégrader. Ce sont les dissensions au sein du parti travailliste, lui-même écartelé entre une gauche qui, de frondeuse, est devenue agressive, et une droite qui attend de plus en plus ouvertement la chute du Premier ministre.

La « question irlandaise »

Par une malheureuse coïncidence, c'est en cette année périlleuse que se rouvre la question irlandaise, ce vieux dossier que les Anglais croyaient fermé depuis qu'en 1921 la partition de l'Irlande avait maintenu au sein du Royaume les six comtés protestants de l'Ulster, tandis que se constituait à Dublin une République libre et souveraine.