D'abord, la remise en ordre et la relance. Héritant d'une situation qui n'était pas bonne, mais nullement aussi dramatique qu'il l'a souvent prétendu, de Gaulle se devait de donner un coup d'arrêt à la dégradation de la monnaie, à l'inflation, à l'essoufflement de l'activité, afin de créer les conditions d'un nouveau départ. Ce fut, après six mois d'études, l'ensemble de mesures prises aux derniers jours de 1958 : dévaluation du franc (de 17,55 %), création du « franc lourd », rétablissement de la convertibilité externe, lancement d'un grand emprunt, relèvement des tarifs du secteur public et nationalisé, libération des échanges à 90 % dans le cadre de l'OECE, abaissement des droits de douane de 10 % dans le Marché commun, coupes sombres dans les subventions, pensions et aides de l'État, abandon de l'échelle mobile des salaires et de la révision automatique des prix agricoles. Le départ était bien pris.

Marqué par le souvenir traumatisant des banqueroutes, crises et dévaluations qui, tout au long de son existence, avaient appauvri la France, hanté par les principes qui avaient prévalu au temps de sa jeunesse — le franc-or, le magot national, l'épargne... —, de Gaulle donnait la priorité à l'accumulation d'une masse d'or et de devises qui devaient lui permettre, espérait-il, de faire face à toute éventualité. Inférieures à 100 millions de dollars au 30 mai 1958, les réserves s'élevaient à 400 millions de dollars fin 1960 ; elles devaient même dépasser 1,2 milliard de dollars, atteindre presque 1,4 milliard en 1967. La dette extérieure à court et moyen terme était éteinte. La balance des comptes était souvent bénéficiaire. Sur un ton parfois provocant, le général donnait des leçons à l'Amérique, à l'Angleterre, à l'Allemagne, prônait l'étalon-or, paraissait défier le dollar inquiet, le sterling malade de langueur et le Deutschemark apoplectique.

La crise de novembre 1968, la fuite devant le franc, l'épuisement rapide des réserves, l'humble appel à la solidarité occidentale devaient constituer un amer réveil. Cette politique monétaire d'abord prudente et avisée, puis orgueilleuse et finalement sanctionnée par l'échec, était évidemment inséparable d'une politique économique dont la courbe reproduisait avec quelques mois d'avance celle des hauts et des bas de la monnaie. Car la première période, celle de la relance calculée, de l'expansion encouragée et réussie, avait été menée avec le constant souci de limiter la hausse des prix, qui, en 1959, ne s'élèvent en effet que de 8 %. Mais l'attention se relâche au fur et à mesure que l'orgueil de la réussite se manifeste. On peut considérer qu'à la fin de 1961 débute la seconde période, celle de l'inflation.

La poussée, tôt décelée, sera trop tard et trop mollement freinée. Pendant plus de deux ans, de mois en mois, les indices montent et le rythme de la hausse s'accélère. Il faudra attendre le 12 septembre 1963 pour que soit annoncé et mis en place un plan de stabilisation, trop tardif et trop rigoureux à la fois, qui mettra en jeu tous les aspects de la politique financière, monétaire et budgétaire. Le coup de frein, trop brutal, cassera l'expansion. Le plan de stabilisation, mis en place pour six mois, restera en vigueur vingt-huit mois, jusqu'à la fin de 1965. La France se placera un moment en queue du peloton des six du Marché commun pour la progression de son industrie. La Bourse s'essoufflera et l'investissement productif stagnera. Le mythe dangereux de l'équilibre budgétaire compliquera encore l'équation. Une poussée de chômage, des tensions diverses dans l'agriculture, dans la reconversion industrielle, dans le domaine social aussi, avec les prestations familiales, le sort des personnes âgées, le niveau de vie des petits salariés proches du salaire minimum (SMIG), telles seront les principales conséquences, dans la troisième période, qui va de 1965 à 1969, des fautes de calcul et des erreurs d'appréciation commises en 1962-63. Pourtant, la plasticité de l'économie française restera si grande qu'elle absorbera sans troubles profonds l'afflux d'un million de rapatriés, les grèves du printemps 1968 et la crise monétaire de novembre de la même année.