Emploi

Contrairement à la stratégie esquissée par les syndicats en septembre 1967, ce ne sont ni les ordonnances sur la Sécurité sociale ni les salaires dans le secteur public qui constituent les moteurs de l'activité revendicative jusqu'à l'explosion de mai 1968, mais les problèmes de l'emploi.

Le demi-échec de la grève du 10 octobre (jour où l'Assemblée repousse la motion de censure sur les ordonnances) et les désaccords entre organisations syndicales montrent rapidement que la lutte ne peut s'engager sur ce terrain. Dans le secteur public, quelques concessions (en matière de rattrapage et de garantie du pouvoir d'achat) dissuadent les salariés de protester davantage à un moment où se développe le chômage — dont ils sont protégés.

Le Mans, Redon, Fougères, Caen, tout l'Ouest, l'Est aussi, le Nord à Lens, et la plupart des villes de province que menace le déclin des industries traditionnelles, manifestent, dans le silence pour les unes, dans la violence pour les autres, de la persistance d'un malaise social. Au Mans, le 26 octobre, 30 000 grévistes, 15 000 manifestants, une trentaine de blessés. La combativité des manifestants surprend. À Lens, en janvier, c'est l'opération ville morte organisée pour la défense du bassin minier.

À Caen, la grève de la Saviem se durcit rapidement. D'abord à cause de la police, mais surtout du fait de la participation massive de jeunes : le 24 janvier, on se battra pendant 4 heures dans les rues.

Partout, au fond, le schéma est le même : une industrialisation insuffisante et le sous-emploi, surtout pour les jeunes, dont les uns sont sans formation professionnelle et dont les autres ne trouvent pas d'emploi dans la spécialité où ils ont été formés. Face à ce problème, un seul accord, sur le chômage partiel, est conclu (le 21 février), sauf par la CFDT ; paradoxalement, il laisse à l'écart les branches les plus touchées. Sensiblement se sont mis en place tous les détonateurs de l'explosion de mai.

Le ralentissement de l'expansion n'est pas la seule cause du chômage

Une économie en nette reprise, un chômage en constante augmentation : tel est le paradoxe de la France, et de la plupart des pays de la CEE.

Sans bonds spectaculaires, mais avec une régularité exaspérante, le nombre des chômeurs n'a cessé d'augmenter. En mars 1968, au moment même où Michel Debré déclarait : « Le temps de la reprise est venu, nos exportations se développent rapidement, la consommation augmente à nouveau », le chômage, loin de se dissiper avec la fin du marasme des affaires, empirait.

Les difficultés actuelles de l'emploi n'ont pas qu'une seule cause : ralentissement de l'expansion (selon les experts, une réduction du taux de croissance d'un demi-point supprime, en fait, 50 000 emplois), concurrence plus vive, amélioration de la productivité, régions et industries en perte de vitesse, formation professionnelle et mobilité insuffisantes.

Le nombre des chômeurs

Selon la SOFRES, un Français sur trois, en 1968, a peur du chômage, et un sur six connaît personnellement, dans son entourage, quelqu'un qui a perdu son emploi.

Sans doute peut-on épiloguer longuement sur le volume exact du chômage. Pour le patronat, il serait faux de compter 450 000 chômeurs, car cette masse globale (calculée en multipliant par 1,9 le nombre des demandeurs d'emploi) correspondrait, en fait, à quatre catégories bien distinctes :
– Ceux qui, volontairement ou sous la pression des faits, changent de fonctions et de lieu et qui, en transit ou en recyclage, font que la société ne se sclérose pas, mais progresse. Ils pourraient être 150 000 ;
– Ceux qui, demandeurs d'emploi, sont maintenus hors des flux de la réadaptation en raison du ralentissement de la conjoncture ;
– Ceux qui, également demandeurs, sont, en fait, inaptes à la réadaptation et dont le sort devrait relever de la solidarité nationale. Ils sont peut-être 50 000 ;
– Les réservistes enfin, non inscrits comme demandeurs, éventuellement titulaires d'un emploi, et qui constituent le volant que peut mobiliser plus complètement une économie en forte expansion.