Journal de l'année Édition 1968 1968Éd. 1968

Quoi qu'il en soit des raisons, les faits sont là : 3 à 5 semaines de grève, selon les entreprises. Un accord conclu à la hâte entre le gouvernement, le patronat et les syndicats pour essayer d'en sortir prévoyait une augmentation de salaire de 10 %, un relèvement du SMIG de 30 %, une réduction (légère) de la durée du travail et la reconnaissance des droits des syndicats dans les entreprises.

La part des bas salaires

Dans le domaine économique, tout est bouleversé par rapport aux perspectives du printemps. Le taux d'expansion, qui aurait pu se situer entre 5,5 et 6 % pour l'ensemble de l'année, risque de se trouver ramené autour de 3 %, en raison des pertes de production dues aux grèves, malgré une possible accélération pour rattraper le temps perdu.

Les hausses de salaires varient beaucoup (de 10 à 15 % environ), selon les branches, en fonction notamment de la part des bas salaires, les plus augmentés, dans chacune d'elles. Elles sont donc sensiblement plus fortes dans l'habillement, les textiles et le bâtiment, que dans la chimie ou l'électronique. Elles ne peuvent pas être absorbées sans hausse des prix, le gouvernement lui-même ayant reconnu qu'une augmentation moyenne de 3 % était légitime. En fait, sur le coût de la vie, la hausse doit être sensiblement plus forte, les prévisions variant de 6 à 10 % en douze mois, selon les experts.

Schématiquement, la hausse des salaires aura atteint, en un an, le volume qui était réalisé, précédemment, en deux ans, soit 12 %, au lieu de 6 %. La hausse des prix doublera, ou triplera, selon l'hypothèse retenue, par rapport au rythme des dernières années, c'est-à-dire 6 % ou 9 %, au lieu de 3 %.

Prix et compétitivité

Pour maintenir leur compétitivité, les entreprises vont être obligées de se rationaliser, ce qui risque de libérer de la main-d'œuvre et d'accroître le chômage. Pour résorber celui-ci, l'économie française devrait donc accélérer son expansion, ce qui pose, à nouveau, le problème des prix.

À vrai dire, la France n'est pas dépourvue d'atouts dans cette difficile bataille. Tout d'abord, la situation internationale reste favorable : l'activité est vive dans les pays voisins. En second lieu, le gouvernement dispose, avec ses réserves d'or (qui représentent six mois d'importations) d'un trésor de guerre qu'il pourra utiliser ; il n'est pas contraint à la dévaluation, dans l'immédiat.

Le coût des mutations

Si l'on compare la situation de l'été 1968 et celle des grandes crises qu'a connues la France depuis trente ans, on constate que les conditions sont relativement moins mauvaises : en 1936, le monde entier n'était pas encore sorti de la grande dépression ; en 1947, la France souffrait des pénuries consécutives à la guerre ; en 1958, la situation financière, tant intérieure qu'extérieure, était catastrophique.

Toute mutation sociale a, d'abord, un coût économique. Celui-ci n'est trop lourd que si l'on échoue dans la modernisation des structures que la crise a lézardées, voire détruites.