Curieuse grève, qui était d'abord une grève du zèle : une partie des journalistes de l'actualité télévisée entreprenait de montrer ce que pouvait faire une télévision libre. L'expérience ne se prolongeait pas au-delà de quelques jours. Les installations reprises en main, d'autres journalistes, plus partisans ou plus dociles, improvisaient chaque soir un journal d'actualité aussi orienté qu'auparavant, mais il n'y avait plus d'autre émission, à peine un mauvais film de temps en temps.

À la radio, telle chaîne était libérée, puis retombait sous tutelle. Le pouvoir maniait tour à tour la séduction et la menace dans ses négociations avec les grévistes, mais il ne parvenait pas à faire reprendre le travail avant les élections. Pendant six jours, l'opération Jéricho avait fait défiler silencieusement des milliers de protestataires, des heures durant, autour de la Maison de la radio du quai Kennedy.

Le public soutenait les grévistes de l'ORTF, devenus les hérauts de la liberté de l'information, et écoutait Europe 1 et Radio-Luxembourg, qui relataient de façon saisissante, en direct, les émeutes et les combats du Quartier latin et d'ailleurs. Bientôt, pourtant, les pressions et les mesures de coercition utilisées à plein conduisaient les postes privés à en rabattre sérieusement et à doser leurs commentaires en même temps que leur audience. La campagne électorale allait leur donner une revanche et provoquer une débauche, jamais vue à ce rythme, de débats, interviews, face à face et interpellations des hommes politiques et des candidats.

Cependant, tandis que se déroulait le second tour des élections, à la fin de juin, la France n'avait pratiquement plus de télévision. L'Office diffusait des programmes minimums ; les journalistes des Actualités télévisées terminaient leur cinquième semaine de grève. La presse écrite, elle, s'apprêtait à faire le compte, dans ses rangs, des victimes indirectes des barricades et des grèves.