Les plus engagés d'entre eux considèrent que cette revendication doit, à son tour, être dépassée, le pouvoir réel de ces commissions étant, en fait, très limité. Ce qui est en cause, affirment-ils, ce n'est pas l'organisation interne de l'Université, mais le rôle de l'Université dans la société et la nature du pouvoir politique.

Selon les étudiants de Nanterre groupés dans le Mouvement du 22 mars, l'Université est, en fait, au service de la société bourgeoise. Son rôle est de servir les intérêts de la classe au pouvoir, en formant les cadres de l'économie capitaliste et en maintenant les travailleurs hors de la culture. La lutte contre la société politique et la lutte contre l'Université sont liées.

La démonstration de cette collusion est entreprise de façon systématique, en recourant à la technique de la provocation empruntée aux mouvements étudiants d'extrême gauche allemands et italiens.

Dans cette stratégie, Daniel Cohn-Bendit joue un rôle important. Il faut, selon lui, introduire la contestation politique à l'intérieur de l'Université par la discussion ou par des actions collectives. L'Université ne pourra supporter cette remise en question et fera intervenir sa police pour rétablir l'ordre. Cette manifestation de violence de la société bourgeoise entraînera une réaction de protestation de l'ensemble des étudiants, qui se trouveront ainsi mobilisés.

Conduite avec détermination, cette tactique, accompagnée d'un certain « terrorisme verbal » — mais rarement de violences de fait —, réussit pleinement. L'administration de la faculté et le corps enseignant se trouvent sans arrêt mis devant l'alternative soit de céder à la provocation, donc de paraître reculer et de se préparer à subir de nouveaux assauts plus vigoureux des agitateurs, soit de sévir et de tomber dans le panneau qui leur est tendu.

Les manifestations

Une journée est organisée à Nanterre en janvier : une trentaine d'anarchistes provoquent une bousculade par une manifestation de caractère volontairement canularesque ; l'administration appelle la police pour rétablir l'ordre ; un millier d'étudiants se rassemblent aussitôt pour la repousser. C'est cette même tactique qui provoque, le 3 mai, le déclenchement du mouvement révolutionnaire.

La rapidité avec laquelle le mouvement révolutionnaire s'est propagé dans l'Université est stupéfiante. En quelques jours, tout l'édifice s'effondre : les facultés, même les plus conservatrices, comme celles de droit et de médecine, cessent le travail, les examens sont remis sine die, les assemblées de professeurs décident leur propre dissolution, toutes les structures sont remises en question ; les grandes écoles sont gagnées ; les lycées entrent en sécession à leur tour, ainsi que toutes les institutions relevant de l'Éducation nationale. Le ministère lui-même se remet en question...

Le pouvoir étudiant

La constitution d'un pouvoir étudiant à l'intérieur des facultés était à l'origine même du mouvement. C'est la première revendication hautement exprimée. Les relations étudiants-professeurs sont soumises à des variations. Dans certains cas, les étudiants veulent donner rapidement un caractère officiel et irréversible à leur victoire en concluant, même au prix de certaines concessions, des accords avec le corps enseignant. À la faculté de droit de Paris, par exemple, une commission paritaire est rapidement élue.

Ailleurs, les étudiants demandent que les délégués des étudiants et des professeurs soient élus dans un collège unique et non par leurs pairs. C'est créer une situation extrêmement nouvelle, qui suppose que les clivages ne sont pas horizontaux (entre les intérêts des étudiants et ceux des professeurs), mais verticaux, c'est-à-dire passant, à l'intérieur de chaque catégorie, entre progressistes et conservateurs, par exemple. Cette formule qui consiste à faire élire des professeurs par des étudiants soulève de nombreuses réticences parmi certains enseignants, qui la considèrent révolutionnaire.

La méfiance profonde que, dans certains cas, les étudiants ressentent à l'égard des professeurs a pu contribuer à rendre extrêmement longues et difficiles les négociations. Les étudiants sont soucieux, avant tout, d'assurer leur propre force face au clan des maîtres et redoutent de voir leur victoire grignotée peu à peu par le biais des élections et d'un système représentatif où les délégués étudiants seraient rapidement écrasés par les enseignants.

Le rôle des assistants

À mi-chemin entre étudiants et professeurs, les assistants, qui, par l'intermédiaire du Syndicat national de l'enseignement supérieur, où ils sont majoritaires, jouent un rôle important dans les événements du mois de mai, en profitent pour asseoir leur propre représentation. C'est ainsi que, dès le 18 mai, l'assemblée des professeurs de la Sorbonne se transforme en une assemblée plénière, dans laquelle tous les assistants siègent à part entière. L'intervention des assistants a d'ailleurs, dans de nombreux cas, été extrêmement positive, en évitant une cassure totale entre les étudiants révoltés et le corps professoral.