C'est dans ces deux directions que l'on espère le voir développer sa politique artistique. Sinon, il manquera à l'essentiel de sa mission, ce qui serait dommage pour un ensemble qui coûte quelque 7 millions de francs à l'État et à la Ville de Paris.

Opéra : de brillantes réussites

Les théâtres lyriques continuent de vivre sur de vieilles habitudes et de vieilles organisations (dont certaines sont à l'agonie, comme l'Opéra et l'Opéra-Comique de Paris). De ces structures désuètes et d'autres, en plein renouvellement, sont sorties récemment des manifestations qui valent d'être mentionnées sur le plan strictement musical.

L'Opéra de Marseille, en novembre, réveillait un ouvrage très vieilli du répertoire post-romantique, la Gioconda, de Ponchielli. Très pauvre sur le plan musical, la Gioconda ne reste guère aujourd'hui qu'un prétexte à une brillante démonstration vocale. C'est sans doute ainsi que l'entendait Bernard Lefort, le nouveau et remarquable directeur de l'Opéra de Marseille ; il avait réuni une distribution éclatante, en tête de laquelle Régine Crespin, qui se produisait ainsi pour la première fois dans sa ville natale.

La crise des théâtres lyriques nationaux

Depuis une vingtaine d'années, la situation et le répertoire des deux grandes scènes lyriques nationales (Opéra et Opéra-Comique de Paris) n'ont cessé de se dégrader, en dépit d'une subvention gigantesque (près de 40 millions de francs).

Une réorganisation totale et fondamentale s'imposant, André Malraux en demanda l'étude à Jean Vilar, le chargeant de mettre sur pied une institution moderne et lui en offrant éventuellement l'administration générale.

Au cours de l'hiver 1967-68, Jean Vilar se consacra à cette mission, et fit notamment des voyages d'information dans les principaux Opéras européens (Milan, Rome, Hambourg, Moscou, Londres, etc.), se faisant aider dans ce travail par Pierre Boulez pour les questions musicales, et par Maurice Béjart pour les questions chorégraphiques, tous deux ayant accepté de collaborer à la direction d'un Opéra et d'un Opéra-Comique rénovés.

Au cours des événements de mai 1968, et notamment à la suite de l'allocution prononcée par le président de la République le 30 mai, Jean Vilar a fait savoir à André Malraux qu'il retirait l'acceptation de principe qu'il avait donnée auparavant pour les fonctions d'administrateur de la RTLN, et qu'il se contenterait de remettre ses propositions de réforme dans les délais qui lui avaient été fixés (1er juillet 1968).

Exceptionnel

C'est encore à Marseille que l'on est revenu en janvier 1968 pour la première représentation en France du Sourire au pied de l'échelle du jeune compositeur italien Antonio Bibalo, d'après la nouvelle d'Henry Miller. Bernard Lefort faisait ici sa première mise en scène, particulièrement réussie.

Dans de remarquables décors de Bernard Daydé, il avait réuni une brillante distribution, dans laquelle le baryton Peter Gottlieb se signalait une fois de plus comme l'un des meilleurs interprètes lyriques actuels. La partition elle-même, d'Antonio Bibalo, est celle d'un musicien doué, mais encore trop influencé par des aînés tels qu'Alban Berg et H. W. Henze.

Presque en même temps, l'Opéra de Paris nous offrait l'un des deux ou trois spectacles qui auront marqué le passage de Georges Auric à la tête des théâtres lyriques nationaux. Turandot, de Puccini, est monté dans des conditions luxueuses, somptueuses, inhabituelles. Dans d'extraordinaires décors de Jacques Dupont et une mise en scène éblouissante de Margherita Wallmann, Georges Auric avait réuni une distribution non moins exceptionnelle : Birgit Nilsson, Andréa Guiot, James King.

L'unanimité s'est faite sans peine autour d'un spectacle d'une telle beauté et d'une telle richesse — beauté dont Jacques Dupont est évidemment le premier responsable. Etait-il toutefois opportun de demander cet effort de prestige à un théâtre à moitié asphyxié et paralysé ? Ce sera peut-être son chant du cygne, splendide, mais coûteux.

Quelques semaines plus tard, en février, la phénoménale cantatrice noire Leontyne Price fait ses débuts à Paris dans Aïda, sur la scène de ce même Opéra de Paris. Elle y recueille personnellement le triomphe qui est dû à sa voix miraculeuse et à ses étranges talents de tragédienne.