Dans le domaine de la télévision, la place de la musique avait encore été réduite au cours de l'hiver 1967-68 : sur les quatre émissions musicales régulières qui existaient auparavant, deux ont été supprimées (les Grands Maîtres de la musique, et Musique de notre temps). Lors de son bref passage à la direction de la télévision, Emile Biasini avait pris, dès le mois d'avril, des mesures tendant à ne plus faire de la musique une parente pauvre du petit écran, mais ces projets ont été stoppés par la démission de ce directeur lors des événements de mai 1968.

Un besoin de la jeunesse

Grâce à des subventions d'État, les ensembles instrumentaux du Domaine musical, de Musique vivante, et de Constantin Simonovitch rayonnent dans les grandes villes de province, dans les maisons de la Culture en particulier, où ils donnent chacun une trentaine de concerts par an. C'est là une innovation de la saison 1967-68. Elle est très heureuse, et permet aux capitales régionales d'être tenues au courant de l'actualité musicale internationale en ses manifestations les plus vivantes.

Dans la plupart de ces villes, l'indice de fréquentation de ces concerts par la jeunesse est très élevé. Ce genre de manifestations correspond évidemment à un besoin qu'on ignorait et qui s'est exprimé dès qu'il en a eu la possibilité.

Ce mouvement de décentralisation de la musique moderne ne se borne d'ailleurs pas aux ensembles instrumentaux d'origine parisienne. Il comporte au moins un groupement d'origine provinciale, les Percussions de Strasbourg, qui rayonne également sur tout le territoire avec un répertoire d'avant-garde.

Formations régionales

Un effort semblable de décentralisation est entrepris en faveur de la musique classique. Deux grands orchestres symphoniques sont actuellement en voie de formation. Ils utilisent des éléments provenant d'anciens orchestres provinciaux dont les moyens d'existence étaient précaires et la vie difficile. Sur l'initiative de la Direction générale des Arts et Lettres seront sans doute en mesure de fonctionner, dès la saison 1968-69, les orchestres Rhône-Alpes et Val-de-Loire, qui desserviront régulièrement les régions correspondantes. D'autres créations sont prévues ailleurs, dans l'avenir.

Une même politique a amené l'État à soutenir des orchestres de chambre nés de l'initiative privée et qui deviennent ainsi semi-nationalisés pour rayonner sur tout le territoire dans le répertoire un peu particulier qui leur revient. Ce sont l'Ensemble Andrée Colson de Tours, l'Orchestre de chambre de Toulouse et l'Orchestre de chambre de Rouen. Dans un même état d'esprit, le maire de la ville de Bordeaux a suscité la naissance d'un Trigintuor de Bordeaux, qui a commencé à se produire dans un genre de répertoire semblable.

L'Orchestre de Paris

La première saison de l'Orchestre de Paris, organisée un peu à la hâte, n'a pas permis à cet ensemble de grand luxe d'atteindre un rendement culturel optimal. Il a cependant montré que, grâce à l'initiative de Marcel Landowski, la France possède maintenant un instrument d'une qualité exceptionnelle.

Le nouveau régime de travail, et notamment les nombreuses répétitions, conduites dans un esprit véritable d'amour de la musique, a donné lieu à des exécutions d'une qualité que peuvent nous envier les meilleurs orchestres du monde. Sans doute ne fait-on pas un orchestre du jour au lendemain. Orchestre virtuose et survolté, ses exécutions sont d'une mise au point impeccable, d'un brillant vraiment extraordinaire, mais il n'a pas trouvé son intonation personnelle, et certains styles lui échappent encore.

Au cours de cette première saison, il a monté une douzaine de programmes, qu'il a exécutés chacun cinq fois, tant pour le public habituel des concerts parisiens que pour les étudiants de Paris ou de Nanterre, et pour les mélomanes de différentes agglomérations de banlieue ou de province.

Orchestre privilégié, disposant de conditions de travail privilégiées, l'Orchestre de Paris se doit de nous offrir des programmes privilégiés possédant une signification culturelle véritable. Il doit éviter les programmes dits commerciaux. La hâte avec laquelle cet orchestre a été mis sur pied et sa saison établie peuvent expliquer dans une certaine mesure que ces douze premiers programmes aient été à 80 % environ d'une extrême banalité.

Sa mission

L'Orchestre de Paris n'est certes pas un instrument au service de l'avant-garde. Néanmoins, il se doit à la musique caractéristique de notre temps en ses manifestations les plus vivantes. Il n'est pas non plus un instrument au service de la musicologie ; il se doit pourtant à une infinité de chefs-d'œuvre du passé que, pour des raisons de routine, d'économie ou d'ignorance, les associations ordinaires négligent.