C'est avec un certain étonnement que le public, sortant des salles obscures, pouvait lire les comptes rendus des critiques, affichés à la porte des cinémas, qui parlaient de « révolution sociale et de remarquable franchise sexuelle ». Les critiques, eux, avaient été conviés en projection privée à voir ces films dans leur intégralité. Une fois de plus, le public a joué le rôle du corbeau de la fable.

Europe centrale

Parmi les pays d'Europe centrale, un absent de marque : la Pologne, qui semble confirmer les bruits pessimistes qui courent sur l'évolution de son cinéma (le Départ, de Skolimowski, a été tourné en Belgique).

Tandis que la Yougoslavie, avec Trois et J'ai même rencontré des tziganes heureux, d'A. Petrović (dont le succès public a été indiscutable), Une affaire de cœur, de Dusan Makavejev, et Rondo, de Z. Berkovic, a fait une entrée remarquée dans les circuits de distribution français, c'est, comme l'an passé, la Tchécoslovaquie et la Hongrie qui se sont taillé la part du lion. Le Premier Cri, de Jaromil Jirès, a été présenté avec retard, mais l'œuvre n'en demeure pas moins très caractéristique du printemps praguois des années 1963-1964.

Vera Chytilova dans les Petites Marguerites a beaucoup surpris par un parti pris de délire en décrivant avec art les aventures de deux gamines inconscientes et fofolles, bien éloignées des archétypes du « héros positif » qui faisaient fureur il y a quelques années encore dans les républiques socialistes. Quant à Jiří Menzel, il a remporté l'Oscar du meilleur film étranger à Hollywood avec un film cocasse, à la fois tragique et tendre, Trains étroitement surveillés, qui augure bien de la carrière de ce tout jeune metteur en scène.

À Cannes, la Tchécoslovaquie a présenté les derniers films de Forman (Au feu les pompiers) et de Nemec (la Fête et les invités, longtemps interdit par la censure politique).

Poème lyrique

De Hongrie, trois films majeurs ont fort agréablement surpris les spectateurs : les Vertes Années, d'Istvan Gaal, Jours glacés d'Andras Kovacs, et surtout un admirable poème lyrique, les Dix Mille Soleils, réalisé par un cinéaste de trente ans, Ferenc Kosa, comme diplôme de fin d'année.

Cette œuvre, qui rappelle Vingt Heures, de Zoltan Fabri, par le thème, et les Sans espoir, de Miklos Jancso, par l'esthétique (le cinéaste s'inspirant volontairement de Brueghel pour la composition de ses images), est un étonnant constat sociologique et humain sur l'évolution du monde paysan de 1930 à nos jours, une trentaine d'années fertiles en soubresauts politiques et économiques.

Miklos Jancso, dont Rouges et Blancs défendaient les couleurs hongroises à Cannes, confirme tous les espoirs que l'on plaçait en lui et rejoint le groupe des meilleurs réalisateurs mondiaux actuels.

URSS

L'excellente première œuvre d'Andrei Mikhalkov-Konchalevski, le Premier Maître, n'a fait que rendre plus évidente la pâleur des autres films soviétiques présentés en France cette année. Serghei Bondartchouk nous a livré le dernier volet de sa monumentale et académique Guerre et paix, Mikhail Romm a gâché par un commentaire gênant un très beau film de montage consacré à l'hitlérisme et au fascisme, le Fascisme ordinaire. Un petit film agréable, venu de Lituanie, Personne ne voulait mourir, est passé totalement inaperçu.

Brésil

Le cinéma nôvo, dont on parlait beaucoup, mais qu'on ne voyait jamais en France, a eu une juste revanche. Les deux films de Glauber Rocha, chef de file du mouvement, ont rencontré un succès très vif. S'il est permis de préférer le Dieu noir et le diable blond à Terre en transes, ces deux œuvres sont d'une importance capitale. Comme les cinémas qui bougent au lieu de somnoler, le cinéma brésilien possède de remarquables atouts dans son jeu : il y a parmi ses jeunes cinéastes des poètes et des pamphlétaires, des romantiques et des baroques, mais leurs buts sont identiques.

Le cinéma est pour eux un art de contestation et de combat. Les problèmes du Nordeste et ceux des grandes villes surpeuplées reviennent, dans la majorité des cas, comme des thèmes obsessionnels.