Sans rien avoir de commun avec Mao Tsé-toung, Nicolas Ceaucescu se refusait, comme lui, de plus en plus nettement, à considérer que l'on devait s'en remettre à l'URSS du soin de régler avec l'autre super-grand les problèmes de la paix du monde, et que sa puissance militaire donnait au grand « pays frère » le droit de fixer les modalités d'un compromis qui engagerait tout le camp socialiste. La Roumanie a finalement signé ce traité ; mais la protestation garde toute sa signification.

Des amis et des ennemis sûrs

Brejnev et Kossyguine conservent encore quelques amis sûrs dans le camp socialiste. Le Mongol Tsedenbal et le Bulgare Jivkov ne créent, semble-t-il, jamais de difficultés sérieuses. Mais la fidélité de W. Ulbricht, de J. Kadar et de W. Gomulka a une signification différente. Ce dernier doit parfois apprécier modérément le soutien que lui apportent les Soviétiques. Quand, par exemple, ils publient in extenso son discours antisioniste du 19 mars.

Le nationaliste général Moczar, qui brigue ouvertement sa succession, pourrait bien, un jour, lui reprocher ce genre d'appui. Non qu'il soit, comme on le sait, moins antisioniste. Bien au contraire. Mais il est particulièrement réservé à l'égard d'une alliance très étroite avec l'URSS.

Quant à Janos Kadar, les gens du Kremlin savent parfaitement qu'il condamne sans grand enthousiasme « le manque de vigilance envers les menées de l'impérialisme » (ce qu'il faut traduire par : l'opportunisme d'A. Dubcek et de son équipe). Mais, à la différence de celui de Dubcek, son pays héberge encore un certain nombre de militaires soviétiques et l'expérience de 1956 a été trop sanglante pour être oubliée.

L'ennemi sûr, c'est toujours Mao Tsé-toung. Mais à lire la chronique de la Pravda, devenue régulière, qui est intitulée « Les événements de Chine » et où sont décrites avec beaucoup de détails les luttes entre les différentes tendances maoïstes, on peut affirmer que Brejnev et Kossyguine ne se font aucune illusion sur la portée d'une condamnation de Mao par un concile communiste.

Ils n'ignorent pas, pour autant, la réalité de l'État chinois. C'est ce qu'exprime indirectement A. Gromyko, lorsque, dans son rapport au Soviet suprême, au mois de juin, il constate avec regret que, depuis 1959, le commerce sino-soviétique a diminué de vingt fois. C'est sans doute aussi ce que signifient certains commentaires de la presse soviétique à peu près au même moment, lorsqu'ils opposent la relative modération de Chou En-laï à la folie de Mao. Si une réconciliation entre les partis est plus que jamais impensable, il y a peut-être là l'offre discrète d'un compromis entre les États.

Échec local, réussite globale

L. Brejnev et A. Kossyguine ont dû admettre que, dans l'affaire du Moyen-Orient, ils avaient perdu la première manche d'une partie difficile : directement à l'ONU, et par pays arabes interposés sur le terrain. Mais ils peuvent valablement affirmer qu'ils ont tiré des avantages non négligeables de cette situation. Désormais, une flotte soviétique, qui s'accroît sans cesse de nouvelles unités, croise en permanence en Méditerranée.

Une ambition séculaire est réalisée. Après Pierre le Grand, qui voulut ardemment et obtint l'accès à la mer du Nord par la Baltique, les chefs du Kremlin ont ainsi donné à la Russie l'accès à celle du Sud. Cette nouvelle redistribution des cartes de la puissance maritime a provoqué une visible irritation à Paris comme à Londres et Washington. Et depuis leur apparition, le 7 novembre 1967, les bérets noirs des commandos de débarquement, qui n'existaient pas — officiellement — avant la guerre des 6 jours, attirent particulièrement l'attention des attachés militaires occidentaux lors des défilés.

Le dialogue des deux Grands

Personne, cependant, n'a sérieusement reproché à Moscou de ne pas jouer le jeu du maintien du statu quo. Il en serait allé bien autrement si le gentleman's agreement qui permet un match nul dans la course à la puissance atomique et balistique avait été rompu. Or, la coopération soviéto-américaine dans ce domaine a progressé au point de permettre, au mois de juin 1968, la conclusion du traité sur la non-dissémination des armes nucléaires.