Le feu couve pendant quatre mois. Juillet : l'écrivain Jan Benès, qui a fait campagne pour Siniavsky et Daniel, est condamné à cinq ans de prison. Août : l'écrivain Ladislav Mnacko, qui s'est fixé, par sympathie, en Israël, est exclu du parti et déchu de sa citoyenneté. On retrouve dans la Vltava le corps du directeur pour l'Europe de l'organisation juive Joint Committee, l'Américain Charles Jordan, probablement assassiné. Septembre, octobre : la direction du parti tente en vain de reprendre en main l'Union des écrivains, en la privant de ses subsides, remanie la rédaction de plusieurs journaux littéraires. Elle se heurte à une opposition qui prend la forme d'un véritable boycott.

Le 31 octobre 1967, les étudiants du collège technique de Strahov descendent en cortège vers le centre de la capitale, portant des bougies allumées. Ils veulent protester contre un éclairage et un chauffage déficients. Leur manifestation est réprimée durement. L'indignation que suscitent les brutalités policières retient les autorités d'exercer aucune poursuite.

De l'anathème à la chute

Les vieilles méthodes ont fait faillite. Un débat idéologique au plénum du comité central, le 1er novembre, sur « le rôle du parti communiste dans la société socialiste » révèle cette évidence. Contre Novotny, Alexandre Dubcek réclame une modernisation et une démocratisation. Novotny, en réponse, lance contre lui l'anathème majeur : l'accusation de « nationalisme bourgeois ».

Ce n'est plus vouer le coupable à la pendaison, mais réclamer au moins un blâme, voire une destitution. Novotny croit pouvoir l'obtenir d'un présidium dont la majorité a été jusqu'alors à sa dévotion. Il avait compté sans la brusque défection de quelques-uns des siens, dont Hendrych, l'idéologue en chef.

La crise est ouverte. Novotny en appelle à Moscou. C'est une ultime maladresse. Moins que jamais, le parti soviétique, alors qu'il prépare la réunion consultative de Budapest, n'est désireux d'intervenir dans les affaires intérieures d'un parti frère.

L'heure de vérité sonne le 5 janvier 1968, quand Novotny doit abandonner à Dubcek la direction du parti.

Novotny

Depuis plusieurs années, Antonin Novotny, dirigeant suprême du pays, avait usé de tous les stratagèmes pour maintenir son pouvoir. Son passé pesait lourdement sur sa conduite politique. La purge de 1951 qui coûta la vie a Slansky et à quelques autres avait marqué pour lui le début d'une ascension qui devait le porter bientôt au poste de premier secrétaire du parti, puis à la présidence de la République.

On dénonçait déjà le culte de la personnalité, mais Novotny avait retardé le plus possible la réhabilitation des victimes tchécoslovaques. Après 1956, sa fidélité à Moscou lui avait servi de rempart, et il en usait volontiers comme d'un alibi. Cependant, la contestation, greffée sur un fond de revendication nationale en Slovaquie, l'obligeait à quelques compromis. Il se tirait d'affaire en sacrifiant des boucs émissaires, ce qui redoublait la hardiesse de ses adversaires et ne calmait aucunement les intellectuels en colère.

Le printemps en janvier

À 46 ans, Alexandre Dubcek est le plus jeune chef d'un parti communiste au pouvoir en Europe. Il a passé quasiment toute sa jeunesse en URSS, mais c'est dans sa Slovaquie natale qu'il a vécu comme militant clandestin la guerre et l'Occupation.

Le nouveau premier secrétaire n'est pas sitôt en place qu'il tend la main à l'Union des écrivains, fait proclamer par Rude Pravo que l'idée de démocratie est liée à la liberté et aux droits de l'individu. Puis il ne tarde guère à porter la pioche dans les bastions du monolithisme politique, du secret du parti, de la raison d'État. C'est le « printemps en janvier ». Le pays renaît à la confiance, commence à s'exprimer librement.

Avec Novotny, la partie n'est pas jouée. Président de la République, l'ancien maître de Prague tente de dresser les ouvriers contre la réduction de leur niveau de vie, qui résulterait, selon lui, du nouveau cours de l'économie.

Dubcek le gagne de vitesse, libère pratiquement les journaux, la radio et la télévision de la censure, et laisse ainsi les journalistes propager dans tout le pays leur critique de l'ancienne équipe.

D'importants secrets militaires

En mars, le général Jan Sejna se réfugie aux États-Unis. Le transfuge est soupçonné d'avoir emporté dans ses bagages d'importants secrets militaires intéressant tous les pays du pacte de Varsovie.