Enfin, le 10 février, l'accord est conclu entre FGDS et PC ; il est publié le 24. C'est un long document portant sur les institutions et les affaires intérieures, la politique économique et sociale, la politique étrangère ; dans chaque chapitre, il formule les points d'accord qui constituent en quelque sorte l'amorce d'un programme commun de gouvernement entre communistes et fédérés, puis les points de divergence, où chaque partie définit sa position propre. L'ensemble est imposant, et singulièrement révélateur : sur la politique étrangère, en particulier, ce n'est pas un programme commun, mais un catalogue de divergences. Et puis il y a là encore une petite phrase que les commentateurs, et Georges Pompidou lui-même, ne vont pas tarder à dénicher dans le chapitre consacré aux institutions, et que voici : « Les deux formation sont d'accord pour examiner en commun les mesures à prendre pour faire échec aux tentatives de toute nature visant à empêcher un gouvernement de gauche de mettre en œuvre son programme. » Que faut-il entendre ? « L'annonce d'une dictature, ce que les communistes appellent la dictature du prolétariat », assure le Premier ministre et, à sa suite, tout le camp gaulliste. « Des mesures de précaution telles que le contrôle des changes pour empêcher l'évasion des capitaux, rien de plus », affirment les chefs de la gauche. La polémique durera, acerbe, jusqu'au grand vent de mai, qui l'emportera avec tout le reste.

La vie quotidienne

Avant cette tempête, d'autres affaires, qui, rétrospectivement, sembleront dérisoires, tiennent un moment le devant de la scène dans l'indifférence blasée de l'opinion, prise à témoin par les deux camps. Si les débats sur la pilule, c'est-à-dire sur la contraception, mettant en jeu des critères moraux et religieux, sont suivis avec un certain intérêt, excès même de certaines polémiques relatives à l'introduction de la publicité de marques sur les ondes de l'ORTF indispose vite.

L'opposition s'est emparée de cette question, e centre, les giscardiens, des gaullistes même déposent propositions et amendements, le ton monte, le débat se transporte bientôt sur le terrain de la Constitution. Pour autoriser la publicité, faut-il modifier le statut de l'Office, faut-il une loi ? Oui, répondent de nombreux juristes et toute l'opposition ; non, assurent le gouvernement et ses partisans en la matière, qui ne sont pas toujours les tenants de sa politique ; peut-être, répond le Conseil constitutionnel dans une décision qui ne décide rien.

Un député fédéré, Me Roland Dumas, a déposé une proposition de loi aménageant l'article 34 de la Constitution afin de rendre la mesure clairement législative. Il retire in extremis son texte, on lui substitue une motion de censure sur les problèmes de l'information, motion qui recueillera une fois encore 236 voix, en avril 1968. L'incident a eu pour effet de mettre en lumière la dépendance de la télévision à l'égard du pouvoir. À cet égard, il en restera quelque chose et la grève de l'ORTF ne sera pas l'un des moindres éléments des nouvelles journées de mai et de la crise qui va surgir.

L'explosion de mai

Aux premiers beaux jours, tandis que s'achèvent les vacances pascales, rien ne laisse prévoir que le décor et le jeu de la vie publique nationale vont être, en quelques semaines, plus profondément bouleversés qu'au cours des six et peut-être même des dix années précédentes.

En apparence, la France somnole, quiète et sans grands problèmes. La vague d'agitation estudiantine qui déferle dans tant de pays proches ou lointains ne l'a pas atteinte. Elle est en paix à l'extérieur et outre-mer. Les tensions sociales semblent peu graves et les quelques conflits du travail, même violents, qui se produisent ici ou là paraissent épisodiques. L'économie va mieux, la relance commence à se manifester, les finances sont saines, la monnaie est solide et les Français ne paraissent pas vraiment malheureux. Seul souci largement ressenti : l'emploi, qui fait cruellement défaut, aux jeunes surtout, le chômage qu'entraînent les conversions et les concentrations d'entreprises.