Après avoir provoqué et entretenu les secousses qui lui ont permis d'arracher le pouvoir à Liu Shao-chi et ses amis, Mao s'est attaché à pacifier son vaste pays en fièvre, à calmer les jeunes chiens de la Garde rouge qu'il avait lancés aux trousses de ses ennemis, et à venir à bout, en s'appuyant sur le gros de l'armée fidèle à son dauphin Lin Piao, des anti-maoïstes de droite et de gauche, et des maoïstes indisciplinés qui continuent à ouvrir des voies d'eau dans la coque du navire dont il tient toujours la barre.

Le dieu Mao

Pour fêter, fin décembre 1967. le 74e anniversaire de Mao Tse-toung, Chao-chan, sa ville natale, a inauguré une statue du président haute de 6 m.

Une statistique a été publiée, portant sur les onze mois qui ont suivi le déclenchement en août 1966, de la grande offensive. 800 millions de portraits de Mao (de 33 sortes) ont été imprimés, soit 5 fois plus qu'au cours des 5 années précédentes.

Ont été réimprimés, en 1967, 85 millions d'exemplaires des Pensées du président (et 57 millions de recueils de ses poèmes). À ce jour, environ 475 millions d'exemplaires ont été vendus. Avant la Révolution culturelle, il y avait 13 imprimeries spécialisées dans ce travail. Il y en a aujourd'hui 180. L'industrie des matières plastiques qui fabrique la couverture du petit livre rouge a pris un essor spectaculaire. L'œuvre du « grand timonier » est traduite en toutes les langues, y compris l'espéranto et le dialecte wallon. Les exemplaires en russe ne peuvent être introduits que clandestinement en URSS, où la police les saisit chaque fois qu'elle le peut.

La Grande Alliance

Dès le 19 juin 1967, au lendemain de l'explosion de la première bombe H chinoise, la presse de Pékin publie un texte de Mao, vieux de dix ans, sur la « juste solution des contradictions au sein du peuple », et, quelques jours plus tard, l'agence Chine nouvelle annonce une campagne nationale de rectification et d'autocritique pour éliminer les divergences au sein des organisations révolutionnaires.

Avec une prudence toute chinoise, Mao fait même, volontiers, un pas en arrière pour tenter d'en réussir deux en avant. Ainsi, son mot d'ordre de Triple Alliance, lancé le 18 mars 1967, et dont le nouveau maître de Pékin, Hsieh Fu-chih, reconnaît deux mois plus tard qu'il faut « l'ajourner pour l'instant », ce mot d'ordre, Mao le remplace par celui de Grande Alliance.

Avant de pouvoir réaliser la Triple Alliance souhaitée entre les masses, l'armée et les cadres révolutionnaires, il faut d'abord réussir la Grande Alliance entre les différents groupes révolutionnaires, dont la Révolution culturelle a réchauffé les antagonismes.

Cela ne va pas sans des heurts, souvent sanglants, qui éclatent un peu partout pendant l'année. Et qui éclateront sans doute encore, malgré la patiente progression, en tache d'huile, du pouvoir maoïste. Heurts suivis, dans la plupart des cas, d'arrestations, de procès publics et d'exécutions immédiates. Par exemple, à Chang-hai, Pékin, Hang-tcheou, Canton, Chenyang, Dairen, dans le Shensi et le Setchouan.

L'été chaud

Le coup d'envoi de cet été chaud est donné par la mésaventure de deux hauts personnages du régime, Hsieh Fu-chih, vice-Premier ministre et chef de la Sécurité, et Wang Li, chef de la Propagande. Arrivés en pacificateurs à Wou-han, ils sont arrêtés par les militaires de la région et gardés prisonniers pendant quelques jours. L'incident se termine par l'autocritique des responsables, qui sont écartés de leurs postes, et, tant bien que mal, la reprise en main de la province. Ailleurs, le bilan est, parfois, plus tragique : morts par centaines, pillages, vols, viols.

À Canton, les combats durent de longues semaines. C'est seulement fin septembre 1967 que peut être rouverte la gare centrale et que, après un grand nettoyage, la Foire internationale est inaugurée le 15 novembre, avec un mois de retard.

En revanche, la Foire de printemps s'ouvre à la date prévue, mi-avril. Entre-temps s'est créé, deux mois plus tôt, un Comité révolutionnaire et s'est construit un hôtel gratte-ciel de 27 étages et 500 chambres pour accueillir les très nombreux visiteurs étrangers.

Une seconde « longue marche »

Commencée au début de 1967, cette création des comités révolutionnaires, dans les villes ou les provinces, jalonne une lente reconquête du territoire, pièce à pièce, sur l'immense puzzle des 22 provinces (y compris Formose à reconquérir), des 5 régions autonomes et des municipalités spéciales (Pékin et Chang-hai).