Une tricherie dans une partie de cartes, au fond d'un bistrot, qui dégénère, et voilà la communauté juive du quartier opposée aux Arabes, qui l'habitent aussi. Pas de politique ici, seulement le choc racial, dur, cruel. Une cinquantaine de boutiques détruites en quelques instants. La police contient mal les clans, ivres de rage, assoiffés de sang. L'ambassadeur de Tunisie, le représentant de celui d'Algérie, le rabbin Josy Eisenberg s'entremettent. Cet incident fulgurant a fait une vingtaine de blessés hospitalisés. On s'interroge sur ses raisons. Le climat insurrectionnel de Paris ? L'approche de l'anniversaire de la guerre des six jours entre Israël et les pays arabes ? Ou, peut-être, tout simplement la misère des uns et des autres...

Le 3 juin, cependant, la France s'endort, chloroformée : elle a retrouvé ses habitudes d'hier ; elle vient de perdre 110 morts sur les routes des loisirs.

Mardi 4 juin
Mercredi 5 juin
Jeudi 6 juin

Au fil des trois jours qui suivent le week-end de la Pentecôte, les ouvriers, cadres et employés regagnent leurs usines, les bureaux, les chantiers. Sans enthousiasme. Le monde du travail traîne les pieds. L'EDF et le GDF ont donné le signal de la reprise, suivis par la SNCF et la RATP. Mais des secteurs gèlent encore : l'automobile, la métallurgie, l'ORTF, chez qui, en vertu du plan Stentor, l'armée occupe les émetteurs. Émile Biasani, directeur de la Télévision, Pierre de Boisdeffre, directeur de la Radio, ont démissionné. On a relevé Edouard Sablier, directeur du journal télévisé, de ses fonctions. Depuis, Yves Guéna, nouveau patron de l'Information, essaie de remettre l'Office en marche.

La révolution, d'une certaine manière, n'a pas épargné l'Église. Des étudiants, des prêtres, tiennent un forum dans l'église Saint-Séverin, à Paris, où la célébration de la messe fut troublée par de jeunes catholiques, le dimanche précédent. À Lyon, ville chaude décidément aussi, une échauffourée oppose les étudiants de droit à ceux des lettres. Tandis que les jeunes gaullistes défilent au Trocadéro, précédés par Joséphine Baker, appuyée sur l'un de ses nombreux fils adoptifs.

Les USA rencontrent le Viêt-nam pour la septième fois au Majestic. La Sorbonne travaille à ses réformes dans une ambiance évoquant la cour des miracles. Jacques Sauvageot crée des universités populaires d'été. Les premières structures de cogestion naissent dans les facultés de médecine. Mécontents, les agriculteurs bretons bloquent avec leurs pommes de terre les routes de Paimpol... Voilà le pouls du pays quand une nouvelle saute l'Atlantique : Robert F. Kennedy, 42 ans, candidat à la Maison-Blanche, vient d'être assassiné, à Los Angeles, à la fin d'un meeting électoral. « Nous sommes le peuple le plus effrayant de la planète... », gémit l'historien Arthur Schlesinger, devant ses étudiants, à New York.

Vendredi 7 juin

Pour empêcher les Français de devenir le peuple le plus effrayant d'Europe, le gouvernement interdit la vente des fusils de chasse et des carabines 22 long rifle jusqu'à nouvel ordre. Dès 9 heures, les écoles primaires, quelques lycées ouvrent leurs portes, alors que la police dégage l'usine Renault, à Flins, qui était toujours occupée par les grévistes. Les heurts violents attirent aussitôt les étudiants parisiens ; ils gagnent cette grande banlieue à pied, en stop, en cars. Sur place, en dépit de l'opposition des syndicalistes, Alain Geismar réussit à prendre la parole, fait circuler ce mot d'ordre : « Réoccupation des abords de l'usine. » Le climat va se tendre. Et les bagarres reprennent, avec violence.

La guérilla dans les champs de la région cesse avec la tombée de la nuit : le général de Gaulle a donné un nouveau rendez-vous au pays, télévisé cette fois. Interrogé par Michel Droit à l'heure où la France dîne, il révèle qu'il a eu la tentation de se retirer le 29 mai, qu'il a fait ce soir-là le tour de ses pensées et arrière-pensées. Il annonce aussi la participation, ce vieux rêve qui le hante depuis tant d'années. Un rêve qui le placerait à mi-chemin entre Marx et Ford.

Samedi 8 juin
Dimanche 9 juin

Voici donc un mot, une idée supplémentaire jetés en pâture aux Français. Ils ne résonneront pas dans l'enseignement, toujours plongé dans la confusion. Une centaine d'instituteurs, fâchés du retrait de l'ordre de grève promulgué la veille, occupent la direction de leur syndicat national, d'où on les chasse quelques heures plus tard. L'organisation du baccalauréat 1968 se précise cependant dans cette anarchie : pas d'écrit, un oral, la session de septembre restant ouverte aux recalés.