Journal de l'année Édition 1968 1968Éd. 1968

Les conflits

Viêt-nam

Le processus de paix est engagé avec la conférence de Paris

Le lundi 13 mai 1968, dans la grande salle du Centre de conférence internationale de l'avenue Kléber, à Paris, Xuan Thuy, délégué nord-vietnamien, et A. Harriman, délégué américain, se serrent la main. Les conversations officielles entre la République du Viêt-nam du Nord et les États-Unis d'Amérique commencent.

Après des années de combats, de contacts plus ou moins secrets, plus ou moins directs, les deux adversaires sont réunis autour du tapis vert. Rien n'est réglé : sur le terrain, on se bat durement. Mais un processus de paix est engagé, et même si des ruptures interviennent, ni les Américains ni les Nord-Vietnamiens ne pourront nier l'existence de ce premier dialogue.

Le face-à-face des adversaires à Paris est la conséquence d'un échange subtil qui durait depuis des mois.

Xuan Thuy

Xuan Thuy, 56 ans, chef de la délégation nord-vietnamienne, allie la rigueur du militant et l'habileté du diplomate. Ancien ministre des Affaires étrangères, il est l'une des personnalités de premier plan du Viêt-nam du Nord. Xuan Thuy adhéra à 14 ans à la Ligue des jeunesses révolutionnaires créée par Hô Chi Minh. Chargé de la propagande, il fut arrêté et incarcéré à trois reprises par les autorités françaises. En prison, il va jusqu'à publier un journal clandestin. Après le déclenchement de la révolte Viêt-minh en 1945. Xuan Thuy devint le rédacteur en chef du journal Cuu Quoc (le Salut national), organe officiel du mouvement. Sa carrière diplomatique commença avant la fin de la guerre d'Indochine, quand il fut nommé secrétaire général du Comité pour la paix au Nord Viêt-nam. On le rencontre dès lors dans plusieurs conférences et congrès. Il fut notamment le vice-président de la délégation de son pays à la conférence de Genève de 1962 sur le Laos. C'est là qu'il rencontre pour la première fois Averell Harriman.

Averell Harriman

Averell Harriman, 76 ans, chef de la délégation américaine, est un vieux routier de la diplomatie. Fils de milliardaire, il s'occupa d'abord des affaires de son père (une société de chemin de fer) avant de se lancer dans la politique. Négociateur né, Harriman a servi successivement quatre présidents : Roosevelt, Truman, Kennedy et Johnson. Et chacun lui confia des tâches difficiles. En 1943, par exemple, en plein milieu de la guerre, il est nommé ambassadeur à Moscou avant de participer à toutes les grandes conférences internationales (Téhéran, Yalta, Potsdam). Harriman connaît parfaitement toutes les affaires de l'Extrême-Orient (il en était responsable sous la présidence de John Kennedy) et s'est fait toujours l'avocat de négociations pour régler la crise vietnamienne. Dès avant la conférence de Paris, il avait effectué, comme ambassadeur itinérant du président Johnson, plusieurs voyages en Afrique et en Asie, afin d'examiner les possibilités de paix.

La formule de San Antonio

En septembre 1967, le président Johnson prononçait à San Antonio, au Texas, un discours qui, par-delà l'océan, s'adressait directement aux Nord-Vietnamiens. Il définissait alors la position officielle des États-Unis concernant l'arrêt des bombardements contre le Nord, problème capital pour Hanoi. Les Américains, déclare en substance Johnson, cesseront leurs raids contre le Viêt-nam du Nord à condition que celui-ci « ne tire pas avantage » de la situation et que les négociations soient « fructueuses ».

Cette formule de San Antonio est refusée par Hanoi, mais les observateurs y voient un assouplissement dans la forme, sinon dans le fond, de la position américaine. Les exigences posées par les États-Unis n'apparaissent plus aussi rigoureuses qu'auparavant.

Du conditionnel au futur

Trois mois plus tard, les Nord-Vietnamiens répondent. Le 29 décembre 1967, au cours d'une réception en l'honneur des dirigeants mongols, Nguyen Duy Trinh, ministre de la Défense, déclare en substance : « Si les Américains cessent leurs raids contre le Viêt-nam du Nord, des pourparlers s'ouvriront. » Jusque-là, Hanoi disait : « Pourraient s'ouvrir ». Ce pas, le passage du conditionnel au futur, est important. Il implique que le Viêt-nam du Nord ne pose désormais qu'une seule condition à l'ouverture de pourparlers : l'arrêt des raids américains. Il implique également que le Viêt-nam du Nord n'exige plus, comme précédemment, un arrêt définitif de ces bombardements.