Le système monétaire international se trouve, ainsi, progressivement miné. Un peu partout, on commence à s'inquiéter de son avenir. Les experts préconisent des réformes ; en France, Jacques Rueff recommande le doublement du prix de l'or et le retour à un système où le seul étalon serait l'or, à l'exclusion de toute monnaie nationale. Cette thèse est rejetée par la plupart des autres pays, qui dénoncent dans l'étalon-or un système archaïque générateur de chômage. Tout le monde admet qu'il faut réformer les mécanismes actuels, mais aucun accord n'apparaît, jusqu'en 1967, sur le sens de cette réforme.

Pour sortir de son isolement, le gouvernement français suggère alors, à ses partenaires du Marché commun, une amélioration du crédit international. Cela rejoint certaines thèses américaines qui ont toujours vu dans l'accroissement des moyens du Fonds monétaire international la meilleure garantie contre les effets de la stagnation de la production d'or et la réduction éventuelle du déficit des États-Unis : à défaut d'or et de dollars, seul le crédit pourrait nourrir les liquidités internationales indispensables au développement du commerce, c'est-à-dire à l'expansion de l'économie mondiale.

Le faux compromis

Après de laborieuses tractations, un compromis se dessine à la session du Fonds monétaire international, qui se tient à Rio de Janeiro, en septembre 1967 : un nouveau système de crédit, appelé « droits de tirages spéciaux », viendrait s'ajouter aux crédits traditionnels du FMI. Mais l'accord repose sur une équivoque : pour la France, ce nouveau système ne devra jouer qu'un rôle d'appoint et sa mise en œuvre reste subordonnée à la disparition du déficit américain et à un droit de veto des pays du Marché commun sur les décisions du FMI (droit de veto dont disposaient, seuls, les États-Unis, jusqu'alors).

En outre, la France n'abandonne pas son idée d'une revalorisation du prix de l'or.

L'armistice de Rio ne dure pas deux mois. Le samedi 18 novembre, à 21 h 30, Harold Wilson, le Premier britannique, est contraint de dévaluer la livre sterling, qui perd 14,3 % de sa valeur : la livre ne vaut plus que 11,72 francs, au lieu de 13,72 francs. C'est la troisième dévaluation de l'histoire : la précédente remontait à 1949. L'opération tient aux difficultés propres à l'économie britannique, bien que la livre sterling ait été ébranlée, aussi, par le rôle de monnaie de réserve qu'elle continue de jouer avec le dollar, mais à un degré moindre.

Le pool de l'or

Il n'en faut pas davantage pour relancer la spéculation : les achats d'or sur le marché libre atteignent des niveaux records. Ce marché se tient principalement à Londres : pour éviter que les cours ne s'éloignent trop de la parité officielle de 35 dollars l'once, différents pays, au premier rang desquels les États-Unis, ont constitué un pool qui intervient par des achats ou des ventes de métal, selon les nécessités du moment. La France s'était retirée du pool en juin 1967. À la suite de la dévaluation de la livre, les autres pays membres doivent vendre d'importantes quantités d'or pour maintenir le cours à proximité de 35 dollars. L'hémorragie d'or prend des proportions inquiétantes aux États-Unis. Le déficit de la balance des paiements américaine approche 4 milliards de dollars en 1967.

Le lingot à 7 000 F

En janvier 1968, le président Johnson annonce un programme d'austérité pour réduire ce déficit : restrictions sur les investissements américains à l'étranger, sur les dépenses de tourisme et sur l'aide extérieure ; augmentation des impôts aux États-Unis ; suppression de la couverture en or des billets en circulation aux États-Unis, afin de pouvoir utiliser tout l'or disponible pour défendre la position internationale de la monnaie américaine.

Le calme ne revient pas pour longtemps. La spéculation reprend de plus belle en mars ; au milieu du mois, les achats d'or sur le marché de Londres atteignent 200 t par jour. Le 15 mars, le secrétaire d'État américain au Trésor, Harry Fowler, appelle Harold Wilson au téléphone et lui demande de fermer le marché de l'or. Les Anglais acceptent. À Paris, le gouvernement français laisse le marché ouvert : le cours du lingot atteint 7 000 F, au lieu de 5 600 F habituellement. Le 16 mars, le gouvernement américain réunit à Washington les gouverneurs des banques centrales qui participent au pool de l'or ; la France n'a pas été conviée. La décision est prise de dissoudre le pool de l'or et d'instituer un double marché : un marché officiel à 35 dollars l'once entre les banques centrales et un marché libre sur lequel ces banques n'interviendront plus. Pratiquement, la convertibilité du dollar est suspendue. Le marché de Londres restera fermé jusqu'au 1er avril. Le général de Gaulle déclare que le système monétaire est « non seulement inéquitable, mais désormais inapplicable ».