Cette reprise en main coïncidait avec la fin de la session parlementaire de printemps, qui voyait adopter par les députés, mais en première lecture seulement, le projet de loi foncière et urbaine et la révision de la loi de 1920 sur la régulation des naissances. Ces dossiers délicats étaient donc renvoyés à l'automne, tandis que les trois autres grandes affaires, déjà ajournées en décembre 1966 — la réorganisation du marché de l'emploi, celle de la Sécurité sociale et l'intéressement des travailleurs — étaient, par les pouvoirs spéciaux, placées dans le champ d'action gouvernemental et le champ d'application des ordonnances.

La crise du Moyen-Orient

Cependant, un autre élément fort important de la conjoncture intérieure — l'écho en France de la crise mondiale déclenchée par le conflit du Moyen-Orient — allait semer en juin de nouveaux ferments de discorde dans le camp majoritaire et multiplier aussi les obstacles auxquels se heurtait déjà la gauche dans sa marche vers plus de cohésion et plus d'unité.

Le général de Gaulle, laissant donc de plus en plus au Premier ministre la quasi-exclusivité des affaires intérieures, poursuivait imperturbablement son grand dessein de politique étrangère. Du 29 au 31 mai, il est à Rome, seul chef d'État au milieu des chefs de gouvernement des Six venus célébrer le dixième anniversaire du traité du Marché commun. Il renouvelle son hostilité à l'entrée de la Grande-Bretagne et son scepticisme même sur l'utilité de négociations, qu'il manifestera de nouveau au Premier ministre anglais, Harold Wilson, en le recevant pour deux jours de conversations, les 19 et 20 juin, au Grand Trianon, ainsi inauguré. Mais c'est surtout devant les graves événements du Moyen-Orient que la diplomatie gaullienne va trouver l'occasion de se déployer dans toute son ampleur.

Dès les premiers incidents, qui sont encore d'ordre politique et non militaire, de Gaulle prend position. Le 24 mai, il fait publier, à l'issue du Conseil des ministres — ce sera la forme que revêtiront, semaine après semaine, ses interventions publiques dans la crise —, une déclaration qui, déjà, fixe sa position : appel à la modération à l'adresse des deux parties, proposition d'une concertation des quatre Grands pour éviter l'irréparable.

C'est à ce moment aussi que débute dans l'opinion une campagne en faveur d'Israël qui éveillera une immense sympathie et fera que les Français seront, en nette majorité, du côté des Israéliens menacés. Des foules se rassemblent pour manifester, des collectes réunissent en quelques heures des sommes considérables, les volontaires assiègent les bureaux des organisations spontanément créées pour la défense d'Israël, des familles s'inscrivent pour héberger les enfants qui seraient évacués, les donneurs de sang bénévoles se proposent aux hôpitaux... 30 000 personnes se retrouvent ainsi place d'Israël, à Paris, le 31 mai, un milliard d'anciens francs récoltés en trois jours, les appels et les manifestes, les cortèges et les démarches de toutes sortes remuent le pays entier.

On ne tardera guère à constater pourtant que cette masse comprend des éléments très hétérogènes, puisqu'on y trouve aussi bien des hommes et des organisations de droite et de l'extrême-droite que la plus grande partie du centre et de la gauche, Jean-Paul Sartre et le colonel Thomazo, Tixier-Vignancour et Guy Mollet... Puis on s'apercevra aussi que l'affaire israélienne, loin de faire aisément l'unanimité, divise en fait, et parfois profondément, chaque famille politique, chaque tendance, chaque collectivité.

De Gaulle n'en a cure et, de nouveau, le 2, puis le 16, puis le 21 juin, accentue sa position initiale. D'étape en étape, il se range dans une attitude de stricte neutralité, met l'embargo sur toute fourniture aux belligérants, désigne Israël comme l'agresseur, se prononce contre son maintien dans les territoires conquis par la force, établit un lien entre l'affaire du Viêt-nam, la bombe H chinoise et le conflit du Moyen-Orient, attribue à l'Amérique la responsabilité de tous ces drames. Il est à contre-courant de l'état d'esprit populaire, mais en même temps contribue à accentuer les divisions et à faire éclater les équivoques.