Ce boom est d'autant plus intéressant qu'il survient dans un pays où le coût du combustible fossile — charbon ou pétrole — est nettement moins élevé que partout ailleurs dans le monde. Il succède à une période de stagnation relativement longue.

En 1966, les commandes de centrales nucléaires aux États-Unis, portant sur une puissance installée de 17 000 mégawatts électriques, ont dépassé pour la première fois les commandes de centrales thermiques classiques. Autre paradoxe, ce tournant industriel se fonde sur la seule expérience de la marche de deux centrales d'environ 200 mégawatts électriques, celle de Yankee, du type eau sous pression-uranium enrichi (PWR), construite par Westinghouse, et celle de Dresden, du type eau bouillante-uranium enrichi, construite par la General Electric.

Le risque pris par ces deux sociétés — qui ont abaissé leurs prix en anticipant sur l'effet de série — s'explique en grande partie par l'encouragement qu'elles reçoivent de l'Administration.

Le gouvernement de Washington s'efforce visiblement d'obtenir le contrôle mondial des installations nucléaires pour empêcher la prolifération des armes atomiques. Cette volonté se traduit par de multiples aides à l'industrie pour répandre une technique de centrales fondée sur l'emploi de l'uranium enrichi, dont les États-Unis entendent garder le monopole commercial.

U naturel ou enrichi

On sait que les centrales nucléaires se caractérisent par le choix des éléments qui composent la filière combustible-modérateur de neutrons-échangeur de chaleur. (À quoi on peut ajouter le réflecteur de neutrons, qui parfois ne fait qu'un avec le modérateur.)

Les réacteurs américains (comme d'ailleurs les réacteurs soviétiques) consomment de l'uranium enrichi, c'est-à-dire contenant une proportion d'isotope fissile (U 235) plus élevée que l'uranium naturel, lequel contient surtout de l'U 238, impropre à la fission en chaîne.

Jusqu'à la fin de l'année 1966, tous les réacteurs de puissance fonctionnant en France consommaient de l'uranium naturel. En octobre 1966 est entrée en divergence à Chooz, dans les Ardennes, une centrale nucléaire franco-belge, construite dans le cadre d'un accord de coopération Euratom-USA, avec un réacteur de type américain fonctionnant à l'uranium enrichi et à l'eau pressurisée.

Après un incendie accidentel au cours de la montée en puissance, la centrale de Chooz a finalement été couplée aux réseaux français et belge le 3 avril 1967. En décembre 1966, la France a mis en service à Brennilis une centrale expérimentale (EL-4) à uranium enrichi, avec comme modérateur l'eau lourde et comme fluide échangeur de chaleur le gaz carbonique.

L'offensive des industriels américains en vue d'exporter leurs installations à uranium enrichi semble se heurter à une certaine indifférence des pays ne possédant pas une importante industrie nucléaire nationale : l'Allemagne n'a pas commandé de centrale nucléaire depuis quatre ans. La Grande-Bretagne, qui développe un type nouveau de centrales à uranium enrichi et à graphite, s'est efforcée en 1966 de se présenter comme un fournisseur éventuel d'uranium enrichi, concurrent des États-Unis.

Quant à la France, son usine de séparation isotopique de Pierrelatte a atteint son régime de plein rendement en avril 1967, fournissant de l'uranium enrichi à 90 p. 100 avec trois mois d'avance sur le programme initial.

Outre ses usages militaires, l'uranium fortement enrichi (de même que le plutonium, pour le traitement duquel la France possède depuis la fin de 1966 une usine spéciale à La Hague) débouche sur un type nouveau de centrales nucléaires, qui représente peut-être l'avenir : les réacteurs à neutrons rapides ou surgénérateurs.

Les surgénérateurs

Dans les actuels réacteurs de puissance, les neutrons doivent être ralentis jusqu'à ce que leur énergie tombe au niveau thermique. En l'absence de modérateur, la plupart des neutrons sont capturés par des noyaux de l'isotope 238, et il n'y a pas de fission en chaîne.

Il est vrai que les noyaux d'uranium 238 qui ont capturé des neutrons se transforment d'abord en neptunium, puis en plutonium, lequel est fissile. Mais avec de l'uranium naturel ou modérément enrichi, le nombre de noyaux fissiles ainsi créé est inférieur à celui des noyaux d'uranium 235 brûlés par le réacteur : on dit que le taux de conversion est inférieur à 1.