Pour que les Aphanopus soient aussi foisonnants, alors que cette espèce n'existe dans le reste de l'Atlantique septentrional qu'à l'état très clairsemé, leur nourriture doit y être particulièrement abondante, c'est-à-dire qu'il y existe une faune profonde anormalement riche.

Les plongées en bathyscaphe sont, en général, assez décevantes pour l'océanographe biologiste, en raison de l'appauvrissement général des peuplements au-delà de 500-600 m de profondeur. Madère présentait a priori une rentabilité plus grande sur le plan biologique.

Quant à l'intérêt de l'opération combinée entre le bathyscaphe et le Jean-Charcot, il résulte du caractère incomplet des données biologiques qu'on tire des plongées du bathyscaphe. L'engin permet d'étudier la distribution des peuplements et le comportement des espèces, aussi bien dans les eaux que sur les fonds. Mais les observations sont très partielles. D'abord, une plongée reste essentiellement une opération ponctuelle. Certes, la descente n'est pas rigoureusement verticale, en raison des courants, mais la mobilité sur le fond n'excède guère une distance de l'ordre de quelques milles. C'est un maximum et, sauf sur une pente très accentuée (ce qui ne facilite pas les manœuvres), une plongée donnée ne permet d'étudier qu'un seul type de fond.

Or, dans les profondeurs les peuplements sont, en général, assez uniformes. D'autre part, le bathyscaphe ne donne qu'une idée incomplète des peuplements. Sur le fond même, toute la faune endogée (c'est-à-dire vivant dans des terriers creusés dans le sédiment) reste évidemment invisible.

À portée de flashes

La perturbation qu'apporte, dans cette nuit éternelle des grands fonds (à peine piquetée de loin en loin d'éclairs de quelques animaux lumineux), l'intrusion du bathyscaphe avec sa couronne de puissants projecteurs et ses flashes électroniques, représente un élément supplémentaire d'imprécision. Les films pris sur le fond par des traîneaux photographiques sous-marins montrent fréquemment, à la limite de portée du flash, les silhouettes d'animaux nageurs qui s'échappent, ou le nuage de vase d'espèces fouisseuses qui s'enterrent précipitamment.

Il en est de même en pleine eau : en 18 plongées effectuées avec les deux bathyscaphes français, on a vu en tout et pour tout un calmar, groupe pourtant très commun dans toutes les mers du monde.

Lors de la campagne de Madère, précisément, une plongée nocturne a été spécialement consacrée à l'étude du peixe-espada et de la faune dont il se nourrit. Pas un seul exemplaire n'en a été aperçu, et le plancton observé a été relativement pauvre en gros animaux, notamment en crevettes profondes. Au même moment, cependant, les pêcheurs opérant au-dessus même du bathyscaphe capturaient, comme chaque nuit d'ailleurs, quelques dizaines de spécimens.

De faibles rendements

Il est évident que les Aphanopus, comme les espèces dont ils se nourrissent, avaient évité systématiquement les abords de l'engin d'exploration, sans toutefois devoir s'écarter beaucoup de leur habitat, puisque les lumières du bathyscaphe ne sont plus perceptibles (ou du moins très atténuées) au-delà de quelques dizaines de mètres.

Enfin, il ne suffit pas au biologiste de voir. Si poussée que soit la connaissance qu'il peut avoir de la faune des eaux et des fonds sur lesquels il plonge, l'identification exacte de ce qu'il aperçoit comporte toujours une certaine part d'incertitude, la vision est souvent fugitive ou lointaine. Il faut donc récolter des spécimens, ce qui n'est pas simple. Sur le bathyscaphe Archimède, le problème des prélèvements de plancton n'a pas encore été résolu.

Pour les prélèvements de faune de fond et d'échantillons géologiques, la situation est meilleure grâce aux carottiers, et surtout au pont roulant de manœuvre qui permet d'utiliser sur le fond une sorte de pelle-benne dont le contenu est déversé dans une trémie. L'appareil a correctement fonctionné à Madère, mais son rendement reste faible. Les nasses et des lignes suspendues au bathyscaphe n'ont pas été d'un rendement bien meilleur. Un aspirateur de fond, expérimenté récemment, a donné des résultats assez satisfaisants, mais restera, sans doute, un engin de faible rendement.