Ce créneau de recherches n'est donc pas dépourvu d'intérêt. Mais comment l'exploiter ?

Le problème a été remarquablement résolu par la base de Kiruna.

Kiruna (Laponie suédoise) est la meilleure, la plus célèbre mine de fer du monde. La ville, avec 23 000 habitants, est la plus peuplée d'Europe au nord du cercle polaire. Une voie ferrée intensivement exploitée (la fameuse route du fer) la relie à la Suède du Sud et à Narvik, en Norvège. Or, Kiruna possède une station d'études des aurores boréales d'où les géophysiciens rêvaient depuis longtemps de lancer des fusées aux moments cruciaux de ces phénomènes. De là, à l'époque où l'ESRO s'organisait, est partie l'idée d'une base spatiale, base dont la création fut décidée par un accord entre l'organisme international et le gouvernement suédois.

La chance a voulu que cette cité prospère, dotée d'un large équipement technique, soit entourée d'immenses forêts ; à coup sûr, les terres les plus désertes de l'Europe.

Entre les Laponies norvégienne et finlandaise, la Suède projette une pointe vers le nord. Un losange, dont le plus grand axe s'étend sur 108 km, a été délimité. Les fusées, lancées vers le nord-nord-est depuis la base établie à 45 km de Kiruna, pourront retomber sur une centaine de kilomètres.

Sur cette zone, pas un habitant, rien que des cerfs, des élans, des ours sous les sapins et les bouleaux, sur un tapis de mousses, de myrtilles et de lichens. Au début et à la fin de l'été, des Lapons traversent cette zone, menant à la transhumance vers les montagnes leurs troupeaux de rennes. Les tirs sont donc interdits durant deux périodes de huit jours. Par surcroît de précaution, les Lapons migrants ont reçu des récepteurs à transistors pour être avertis des tirs et, si besoin est, se hâter de rejoindre un des vingt abris bétonnés prévus pour eux.

Fusées récupérées

Cette base, la plus septentrionale du monde, est aussi la mieux située pour le lancement de fusées-sondes : les bases américaines de cette spécialité, notamment celle de Wallops Island, ne peuvent récupérer leur matériel d'expérience qui retombe à la mer. L'ESRO a doté Kiruna d'un équipement remarquable. Pas de luxe inutile, mais tous les perfectionnements techniques nécessaires. Rampes de lancement où les fusées, dans la nuit polaire, sont réchauffées à température constante jusqu'aux derniers instants avant le lancement ; abri pour le lancement de ballons qui permettent d'évaluer les vents en altitude, et tour de mesure de conception française très originale, qui donne avec précision la direction et la force des vents près du sol ; nombreux moyens de poursuite qui suivent la fusée jusqu'au début de sa retombée ; machine à calculer qui, sur la base de ces données, détermine la trajectoire. Bref, tout ce qu'il faut pour accomplir la tâche fixée, c'est-à-dire étudier dans la haute atmosphère comment les éruptions solaires interagissent avec notre planète.

L'inauguration de la base de Kiruna — dont le nom officiel est ESRANGE (European spatial research range) — s'est déroulée les 24 et 25 septembre 1966, et le premier tir, celui d'une fusée française Centaure, a eu lieu dans la nuit polaire le 22 novembre.

Deux bases françaises

Les raisons d'être de l'autre base d'Europe sont bien différentes. Aux termes des accords d'Evian, l'armée française a dû songer, des années à l'avance, à remplacer et Colomb-Béchar, siège du CIEES (Centre interarmes d'essais d'engins spéciaux), et Hammaguir, son annexe, qui dut être créée en plein désert lorsque s'accrut la portée des fusées.

Entre les activités militaires d'essais et les lancements de satellites, on a fait le départ : la France a décidé de se donner deux bases différentes. Les futurs satellites seraient tirés depuis la Guyane française, en une situation équatoriale et vers l'est, direction dans laquelle les fusées profitent au maximum du coup d'épaule que leur donne la rotation terrestre. En France même, dans les Landes, un champ de tir serait créé pour essayer les engins et les fusées sans vocation spatiale.