Moins connue, pour ne pas dire méconnue, Cora Vaucaire reste l'interprète idéale de Prévert et Kosma. Denise Benoît sait tout chanter, du classique au moderne, avec une justesse infaillible. Jeanne Moreau retrouve au studio d'enregistrement une fraîcheur que de mauvais rôles lui font trop souvent perdre à l'écran. Un autre comédien, Serge Reggiani, a fait, cette saison, dans la chanson des débuts plus que prometteurs.

Dans le fracas de la grosse artillerie publicitaire, quelques voix justes peuvent donc encore se faire entendre.

Par la grâce de la chanson

Entre le domaine du music-hall et celui de la chanson, la frontière est d'une minceur extrême.

Neuf fois sur dix, c'est une vedette de la chanson qui joue, au music-hall, le rôle de tête d'affiche et assure la seconde partie du spectacle, la première étant meublée par des numéros qui, souvent, ne seraient pas déplacés au cirque.

Bien des noms cités au chapitre chanson pourraient figurer au chapitre music-hall. Mais la chanson, grâce aux disques, à la radio et à la télévision, peut se passer du music-hall. Tandis que le music-hall ne peut pas vivre sans la chanson.

Or, l'existence du music-hall est difficile. À Paris, en deux ans, quatre music-halls ont disparu. L'Alhambra-Maurice-Chevalier a été détruit. L'ABC est devenu cinéma, et l'Européen théâtre, sous le nom de Vaudeville.

Pacra, enfin, rebaptisé Music-hall du Marais, semble bien désormais voué à l'opérette.

Restent l'Olympia (2 000 places) et Bobino (1 100 places). Il convient d'y ajouter le Théâtre populaire de la chanson, animé par Jacques Douai à l'Alliance française depuis l'automne 1966, en réaction contre la commercialisation et le disque, qui tuent la chanson.

Il convient aussi de noter le passage au TNP de Georges Brassens et de Juliette Gréco, qui ont touché, en 30 représentations, 90 000 spectateurs.

On ne saurait enfin négliger l'existence, en province, de salles importantes par leurs dimensions et par le goût de leur clientèle, comme le Palais d'hiver à Lyon, l'Alcazar et le Gymnase à Marseille.

Les deux grands

Le music-hall a son école, fondée en novembre 1966 à l'Olympia par Bruno Coquatrix. Il a son banc d'essai, les Visages neufs de la chanson, lancé par Bobino, les jours de relâche, avec l'appui de l'ORTF. Il a ses Olympiades, qui amènent chaque année, sur la scène de l'Olympia, des troupes et des vedettes étrangères.

C'est grâce aux Olympiades que nous aurons pu applaudir en 1967 deux des plus grandes étoiles internationales du music-hall : Amalia Rodrigues et Sammy Davis junior.

Le génie d'Amalia Rodrigues donne au folklore une portée universelle. Par le rayonnement de sa beauté, sa sincérité chaleureuse, sa voix magnifique, d'un pathétique voilé, sa diction précise et délicate, elle multiplie le pouvoir d'incantation des fados, ces mélodies populaires qui, avant elle, n'avaient guère franchi les frontières du Portugal.

Quant à Sammy Davis junior, c'est sans doute l'artiste le plus complet qu'on puisse voir sur une scène. Cette scène, il est capable de la tenir seul quatre-vingts minutes d'affilée, chantant, dansant, jonglant, imitant de façon hallucinante les personnalités les plus diverses, unissant l'humour de Charlie Chaplin au tragique de Ray Charles.

À lui seul, il résume tout le music-hall d'aujourd'hui.

De classe internationale

Loin derrière ces étoiles, dans un domaine où les qualités scéniques comptent autant que les qualités vocales, la France, depuis Maurice Chevalier, ne peut mettre en ligne que deux champions de classe internationale : Charles Trenet et Charles Aznavour.

Au hasard d'une production abondante, Trenet reste toujours capable de trouvailles poétiques étonnantes. Premier en date des chanteurs-auteurs, si nombreux aujourd'hui, il a influencé presque tous ses jeunes confrères et gardé la fraîcheur de ses débuts.

Aznavour, lui, administre en homme d'affaires consommé une carrière qui doit autant à son prodigieux talent de comédien qu'à sa voix et à son répertoire, où le pire voisine avec le meilleur, ce meilleur restant les chansons qui lui permettent d'employer au mieux ses dons d'acteur.