Chose curieuse, c'est dans la spécialité musicale la plus coûteuse, le théâtre lyrique, que la vie musicale française s'est montrée, sinon la plus audacieuse, du moins la plus animée. Créé à l'Opéra-Comique de Paris, Béatrice et Bénédict de Berlioz aura ainsi attendu plus d'un siècle son entrée dans un théâtre pour lequel il était évidemment fait. Une présentation discutable, une interprétation vocale inégale et un livret qui vieillit mal ne semblent pas promettre un très prospère avenir à cette initiative, qui était cependant bonne en son principe.

Fulgurante

L'Opéra de Paris fait appel à Wieland Wagner (décédé depuis, à la mi-octobre 1966) pour montrer un nouveau Tristan et Isolde dans des décors, costumes et mise en scène du petit-fils du compositeur. La splendide réalisation de Wieland Wagner s'est attiré les critiques des wagnériens d'ancienne obédience et l'enthousiasme de ceux qui pensent que le génie wagnérien est assez grand et universel pour pouvoir faire l'objet d'une présentation moderne et rompant avec les routines. La distribution, presque entièrement importée, comportait notamment la fulgurante Birgit Nilsson et l'irremplaçable Wolfgang Windgassen, qui ne dispose plus maintenant de tous ses moyens vocaux.

Une série de représentations au théâtre des Champs-Élysées nous révèlent ensuite un nouveau ballet, l'Éloge de la folie, monté par la Compagnie Roland Petit sur un argument de Jean Cau stigmatisant les folies de notre temps (publicité, amour, pilule, guerre, etc.), et pour lequel Marius Constant a composé une remarquable partition qui fait date dans la production de cette année.

Sous l'impulsion du jeune metteur en scène Pierre Médecin, l'Opéra de Nice a pris depuis quelques saisons un essor extrêmement intéressant et vivant. Il offrait à son public international deux séries complètes du Ring de Richard Wagner, effort considérable si l'on songe à la quantité de décors et de répétitions que supposent ces quatre chefs-d'œuvre. Avec la collaboration du décorateur Jean Blancon, Pierre Médecin a mis sur pied ce vaste ensemble dans des conditions remarquables où se manifestait la personnalité de quelqu'un qui a travaillé précédemment avec Wieland Wagner et qui a ensuite su se créer son style scénique, et cela dans une esthétique moderne.

De la meilleure période

Le théâtre du Capitole de Toulouse, qui passe pour l'un des temples du bel canto le plus traditionnel, a cependant su sacrifier à l'art de notre siècle en montant la première représentation en France du Joueur, opéra que Serge Prokofiev termina en 1924, c'est-à-dire à la meilleure période de son évolution. Remarquablement monté dans des décors et costumes de J. Sanso et une mise en scène conventionnelle mais animée de Douking, le Joueur a bénéficié d'une exécution musicale très soignée, sous la direction du jeune chef d'orchestre Jean Périsson.

Négligé depuis une douzaine d'années par notre première scène lyrique, le Roi d'Ys a essayé d'y retrouver une nouvelle jeunesse dans une présentation de Félix Labisse. On voit bien que ce dernier a voulu rendre possible cet impossible livret en transportant l'action dans un univers de légende, ce que devait lui faciliter son inspiration d'origine surréaliste. Ses décors et costumes, où il y a une grande beauté de détails, se situent dans une ambiance entre tapisserie de Bayeux, Gustave Moreau et préraphaélisme. Mais des éclairages malheureux, et d'ailleurs réglés par le peintre lui-même, ont tué toute poésie, tout mystère, tout insolite et tout irréel, défaut qu'a encore aggravé une indigente mise en scène. On ne peut dire que cette reprise ait su attirer l'attention du public sur un ouvrage qui, finalement, vieillit mal, et dont les quelques atouts sont bien fanés.

Peintre de talent

Intéressante initiative que celle consistant à mettre sur pied l'Opéra des gueux de John Gay dans la version révisée par le compositeur anglais contemporain Benjamin Britten. Intéressante, mais somme toute assez décevante, ainsi qu'en témoigne la tentative faite au théâtre du Vieux-Colombier par la compagnie Raymond-Vogel. L'ouvrage souffre gravement de la concurrence que lui fait, dans l'esprit des mélomanes, l'Opéra de quat'sous de Brecht et Kurt Weill, concurrence justifiée par le relief et la verve de ce dernier chef-d'œuvre. Et la version de Benjamin Britten enlève beaucoup d'accent à la partition originale du xviiie siècle : celle-ci avait le mérite d'une fraîcheur et d'un charme populaire un peu simplets, certes, mais authentiques, alors que la révision du maître anglais lui donne quelque chose de laborieusement policé qui n'est nullement dans le caractère de l'ouvrage.