Dans le secteur public, aussi, on a fait des prodiges de mise en scène. Sur le mode baroque, Maurice Béjart et Antoine Bourseiller ont changé en fête pour les yeux la Tentation de saint Antoine de Flaubert et le Don Juan de Molière. Edmond Tamiz a fait palpiter très délicatement l'Éventail de Goldoni, et la Comédie-Française a confirmé qu'elle était la maison de Marivaux plus que celle de Molière (la Commère, inédit retrouvé en 1966, et le Jeu de l'amour).

Au chapitre des œuvres modernes, Guy Rétoré (TEP) a réalisé deux de ses meilleures mises en scène avec Vous vivrez comme des porcs, de J. Arden, et la Coupe d'argent, d'O'Casey. Gabriel Garran, à Aubervilliers, a fait le meilleur sort possible à l'Opéra noir, de Gabriel Cousin, et au Marchand de glace, d'O'Neill. Pierre Debauche, à Nanterre, s'est attaqué avec courage et ingéniosité au Dragon, de Schwarz. Au TNP, enfin, Georges Wilson a monté le Mahagonny de Brecht et le Roi Lear de Shakespeare, tandis que Georges Riquier défendait les débuts de Georges Michel (l'Agression) et que la nouvelle salle d'essai, sous le Palais de Chaillot, faisait connaître la Grande Imprécation, de Dorst, et Les ancêtres redoublent de férocité, de Kateb Yacine.

L'Odéon de Jean-Louis Barrault a ouvert, lui aussi, une petite scène-laboratoire et l'a inaugurée avec des textes faits pour elle (le Silence et le Mensonge, de Nathalie Sarraute).

Dans l'ensemble, on peut donc dire que les compagnies subventionnées ont eu plus que jamais les moyens de créer, en matériel et en talents de metteurs en scène. Les comédiens se sont également montrés très brillants et très soucieux de renouvellement...

Audace et contestation

Mais toutes ces qualités ont été quelque peu gaspillées par la médiocrité des textes servis. La Tentation de saint Antoine ne méritait pas les inventions et les efforts déployés par Béjart. Les belles mises en scène de Garran et de Rétoré cachaient mal l'indigence des pièces d'O'Neill et d'O'Casey, dont le choix illustre la crise du répertoire populaire. Après les classiques, Brecht et O'Casey, les animateurs des maisons de culture et de banlieue ne savent plus comment garder le contact direct avec leur public de travailleurs. N'importe quelle fable pacifiste ou anticapitaliste fait l'affaire.

Armand Gatti est pratiquement le seul auteur dont les préoccupations rejoignent celles de ses spectateurs. Avec V comme Viêt-nam, il a donné une réelle existence scénique au dossier de la guerre, comme les Anglais avec US et les Américains avec Lady Macbird. En l'occurrence, l'audace politique n'est qu'apparente, en France du moins, et l'entreprise donne plutôt bonne conscience. Mais il y a sûrement un avenir pour ce théâtre de contestation au jour le jour et de guérilla. Avec les pirouettes facétieuses des cafés-théâtres, c'est même ce théâtre de l'actualité qui a fait le plus figure de nouveauté.

Dans l'humour gratuit ou le combat, c'est l'art de tréteau qui aura sauvé la saison de la grisaille où la maintenaient des réalisations brillantes, mais sans nécessité ni vitalité, les auteurs ayant fait... relâche.

Vingt ans de décentralisation

Saison sans grand éclat pour le théâtre parisien, 1967 a vu s'accroître encore l'activité des troupes de province. On a créé plus de pièces nouvelles dans les centres régionaux et les maisons de culture que dans la capitale. Cette situation aurait paru incroyable, inespérée, il y a vingt ans.

Cette année est en effet un anniversaire. C'est en 1947 qu'eut lieu le premier festival d'Avignon, d'où allait naître le T.N.P. C'est également en 1947 que les idéaux du Cartel et de la Résistance sur la démocratisation et la décentralisation du théâtre aboutirent aux premiers centres dramatiques nationaux.

Les grands ancêtres furent le Grenier de Toulouse, fondé en 1945 par Maurice Sarrazin et promu Centre national en 1949, et la Comédie de Saint-Étienne, créée par Jean Dasté aux mêmes dates. Le Grenier touche aujourd'hui plus de 80 000 spectateurs et joue près de 100 œuvres, dont, cette année, le retentissant V comme Viêt-nam de Gatti. Le répertoire de Saint-Étienne compte également près de 100 spectacles, dont plusieurs créations.