Cette formule, qui fait fureur aux États-Unis depuis plus de dix ans, a été lancée à Paris par un jeune auteur, Bernard Da Costa. En lisant dans le New York Times un compte rendu sur les cafés-théâtres américains, et grâce à un jeune couple qui gérait le Royal, un bar de Montparnasse, Bernard Da Costa eut l'idée d'installer une scène rudimentaire et de faire jouer par de jeunes acteurs une petite pièce qu'il avait écrite : Trio pour deux canaris. Le premier spectacle de café-théâtre voyait le jour le 2 mars 1966 au Royal. C'était un peu l'enfant de la Rose rouge, le berceau d'un genre relevant à la fois du café-concert et du dîner-spectacle.

Depuis, ces scènes de fortune ont proliféré dans la capitale. On en compte neuf à l'heure actuelle. Scènes minuscules où les décors et les costumes sont seulement suggérés, où le magnétophone remplace l'accompagnement musical. Il faut tout le talent, l'ingéniosité, la foi des jeunes animateurs pour lancer ces spectacles banc d'essai, qui ne bénéficient d'aucune aide financière. Si une pièce n'est pas bonne, on arrête et on recommence avec une autre. Le café-théâtre est aussi le refuge des jeunes comédiens en mal de cachets, des jeunes auteurs en mal de contrats. Il y a en France 20 000 acteurs. Un millier travaillent régulièrement. Le café-théâtre leur donnera peut-être la chance dont ils rêvent. Dans six cas sur huit, ils ne sont pas rétribués. Les acteurs font la quête après le spectacle. De plus en plus d'animateurs, cependant, exigent que les cachets des artistes soient compris dans le prix des consommations. La recette est quelquefois partagée : moitié pour la troupe, moitié pour le propriétaire.

Malgré toutes les difficultés qu'il rencontre, le café-théâtre s'organise. Une Union des animateurs des cafés-théâtres, présidée par Georges Vitaly, est née.

Les huit principaux établissements à Paris sont l'Absidiole, les Deux Ponts, l'Échiquier, l'Escamote, le Gill's Club, la Vieille Grille, la Méthode, le café Colbert.

À l'anglaise

Comme créations tirées d'œuvres étrangères récentes, on a compté une pièce d'origine polonaise : Tango, adaptée de Mrozek par Claude Roy pour Laurent Terzieff. Mais la plupart des spectacles importants du secteur privé venaient d'Angleterre ou d'Amérique et d'Allemagne.

En tête, comme qualité et comme importance, il y a eu Marat-Sade, devenu Marat-X à la suite d'un procès gagné par les héritiers du divin marquis. L'auteur, Peter Weiss, a eu l'idée remarquablement théâtrale de faire mimer la Révolution par les fous de Charenton, avec lesquels il est prouvé que Sade a inventé le psychodrame. L'exploitation de la situation est moins saisissante que la situation elle-même, et l'interprétation parisienne ne valait pas la création à Londres par Peter Brook, mais le travail du metteur en scène Jean Tasso et de la nombreuse troupe donnait une impression de puissance et de soin assez rare en France.

Autres réussites d'autant plus notables qu'elles étaient dues, elles aussi, à des initiatives privées : la Cuisine, d'Arnold Wesker, montée par le théâtre du Soleil d'Ariane Mnouchkine ; La prochaine fois je vous le chanterai, de James Saunders, joué par Delphine Seyrig, Jean Rochefort, Henri Garcin, J.-P. Marielle, Claude Piéplu, et le Retour, de Pinter, qui réunissait Pierre Brasseur, Emmanuele Riva et Claude Rich.

Dans le genre réaliste, pirandellien et psychologique, ces trois pièces anglaises ont marqué à la fois les sommets de la saison et l'importance grandissante du théâtre londonien. À chaque fois, un ton nouveau était trouvé, inattendu, subtil, indéfinissable, fait de sous-entendus et de clins d'œil qui mettent les spectateurs dans une délectable connivence. Le secret de ces révélations est sans doute que, contrairement aux auteurs français, les Anglais parient sur l'intelligence, la culture théâtrale et la participation active du public. Un pari gagné et bien gagné.

D'Angleterre, encore, le cocasse et charmant Knack, de Jellicoe, animé par Monique Tarbès et Bernard Fresson, et le Témoignage irrecevable, de J. Osborne, dont la traduction par Jean-Louis Curtis donnait à Michel Bouquet l'occasion d'une étonnante création de quadragénaire aigri.

Année Claude Regy

Le metteur en scène de ce dernier spectacle était Claude Regy, qui a également réglé le Retour et La prochaine fois je vous le chanterai. Trois réussites aussi nettes à soi seul : ce jeune animateur, encore mal connu l'an dernier, est passé pour la découverte de la saison. À juste titre. Il a le sens de la litote et le goût raffiné qui conviennent au new-look théâtral d'outre-Manche. Il est même si bien en harmonie avec ce style, qu'il impose un certain ton britannique à... Se trouver, de Pirandello. Mais l'intelligence et la beauté jumelées du spectacle — Delphine Seyrig, Samy Frey — en font un des souvenirs les plus purs et les plus mélodieux de l'année.