La crise affecte tous les genres, à commencer par le théâtre de divertissement. Les best-sellers d'hier donnent le mauvais exemple : ou ils se taisent, comme Marcel Achard (reprise de Jean de la Lune), ou ils écrivent des monologues sur mesure, comme André Roussin (Elvire Popesco dans la Locomotive), ou ils perdent le coup de main, comme Marcel Aymé (la Convention Belzébir).

Le public de Guitry

Deux nouvelles étoiles brillent désormais au ciel du Boulevard : Félicien Marceau (Un jour j'ai rencontré la vérité) et Françoise Sagan (le Cheval évanoui). Un certain cynisme désabusé et le goût de la formule brillante leur attirent le public de Sacha Guitry. Mais leurs vaudevilles vaguement littéraires n'enrichissent pas plus le théâtre qu'ils ne flattent leurs talents respectifs, mieux faits pour le roman.

Les vendeurs et les acheteurs de divertissement ont horreur des risques, d'où les reprises de Marius (Pagnol), du Nouveau Testament (Guitry) ou de la Polka des lapins (Tristan Bernard). Quelques directeurs donnent encore leurs chances à des débutants : Louis Velle (la Vie sentimentale) et Jean-Loup Dabadie (la Famille écarlate). Mais il n'est plus possible de faire son apprentissage d'auteur au Boulevard. Le public y est trop disparate et capricieux.

Une réconciliation

Les bancs d'essai, ce sont désormais les cafés-théâtres qui les fournissent, sur la lancée des cabarets intellectuels de la rive gauche.

Une bonne dizaine d'arrière-salles se sont ouvertes au cours de la saison. Elles ont imposé le règne de l'auteur-acteur, ou plus exactement de l'acteur-auteur.

De même que Poiret et Serrault écrivent leurs sketches (Opération Lagrelèche), tout comme Garcin et Bouteille avaient inventé les leurs (l'Échappée belle), on a vu cette saison Higelin et Bouchaud imaginer eux-mêmes les canevas de leurs performances de comédiens intitulées Maman j'ai peur et les Caisses, qu'est-ce ?...

S'il y a eu un renouveau du rire, c'est de ces laboratoires qu'il est venu, fondé en grande partie sur l'ellipse et l'allusion pour happy-few. Il reste à rendre cet humour moins ésotérique et à le hausser au niveau du théâtre, comme s'y sont employés Audiberti, Dubillard et Billetdoux.

Grâce à ces trois auteurs issus de l'avant-garde, le théâtre de divertissement et le théâtre d'art promettaient de se réconcilier, comme ils le font si brillamment un peu partout dans le monde. Hélas ! le premier est mort et les deux autres n'écrivent plus, provisoirement. Jean Anouilh, lui aussi, se tait — ou se trompe, comme adaptateur, en dénaturant Kleist (la Petite Catherine de Heilbron).

Arrabal, quant à lui, produit pour deux ou trois. On a créé de lui le Labyrinthe et l'Empereur d'Assyrie. On aurait pu monter d'autres textes ; il en paraît sans cesse. Mais il s'agit moins de pièces de théâtre que de bribes de cauchemar livrées telles quelles dans un flot d'écriture automatique. Cela fait beaucoup de déchets et de moins en moins de surprises.

Le seul auteur français qui a donné cette année une pièce digne de ce nom est Romain Weingarten avec l'Été. C'est un conte tout simple à la Lewis Caroll, où dialoguent des enfants et des chats. C'est mince. Mais c'est original et abouti.

Le reste de la production privée est entièrement composé d'adaptations.

Il y a d'abord l'habituel contingent de reprises russes : Gorki avec les Bas-fonds, Tchékhov avec la Mouette (chez Pitoëff) et les Trois Sœurs (par les trois sœurs Poliakof). La demande dépassant l'offre en matière de drame slave, Barsacq tente une adaptation de Tchékhov nouvelliste (le Duel) et Georges Neveux récrit Dostoïevski pour la scène (Et moi aussi, j'existe). Mais leurs demi-échecs démontrent une fois de plus les dangers de toute transposition forcée d'un genre à l'autre.

Les cafés-théâtres : d'excellents laboratoires

C'est de New York que nous vient la vogue des cafés-théâtres. À Greenwich Village, au café Cino et à la Mamma s'est réfugiée l'avant-garde américaine du théâtre. Comme le dit Edward Albee : vous dégusterez là un espresso en découvrant des pépites d'or, alors qu'au bar des théâtres de Broadway vous siroterez du scotch en avalant des scories.